Foxcatcher

Inspiré d’une histoire vraie, le film de Bennett Miller (LE STRATEGE, sorti en 2011) raconte l’histoire tragique de la relation néfaste entre John du Pont, un milliardaire excentrique (Steve Carell), et les frères Mark et David Schultz, champions de lutte (Channing Tatum et Mark Ruffalo).

Avec FOXCATCHER, Bennett Miller le réalisateur de TRUMAN CAPOTE (2005), entend nous conter une certaine histoire de l’Amérique. Celle qui est combative, compétitive, battante. Jusqu’à l’humiliation, jusqu’au bout des forces, jusqu’au sang. Ici, pas de dépassement de soi à la ROCKY (1976) ou de personnage bigger than life à la RAGING BULL (1980). L’affrontement tacite et silencieux de deux hommes, un entraîneur excentrique qui s’ennuie et cherche à s’occuper en entraînant des sportifs, et un lutteur qui essaie de se débarrasser de l’image de champion de son frère, dans une lutte de pouvoir odieuse.

Les scènes d’avilissement s’enchaînent, et on se demande avec insistance jusqu’où va aller John du Pont, et jusqu’où Mark va accepter de se faire traîner dans la boue. On est plus ou moins dans le même schéma que le formidable WHIPLASH de Damien Chazelle : acceptation d’un nouvel élève, apprentissage, humiliation, abandon, puis envie d’aller plus loin sans se laisser démonter, pour montrer qu’on est plus fort que son adversaire/mentor. Mais chez Bennett Miller, tout est froid, glacial, presque sans vie. En dehors d’un premier combat charnel, près du corps, entre les deux frères avant leur arrivée chez du Pont, chaque combat qui suit est désincarné et filmé avec détachement. C’est ce qui fait à la fois la force et la faiblesse du film. On comprend bien que le réalisateur veut mettre le spectateur mal à l’aise, mais pour peu que l’on décroche suite à une scène trop lénifiante, tout le rythme du film peut s’écrouler en quelques minutes. Ça passe ou ça casse. Il manque vraiment au film de Miller le feu sacré qui fait le (petit) génie de WHIPLASH. Et surtout il manque un acteur de la trempe de J.K. Simmons (go go go pour les Oscars !).

Steve Carell qui incarne l’entraîneur fou John du Pont, trouve là un rôle à sa démesure. Habitué depuis des années aux rôles comiques outranciers, notamment dans la série THE OFFICE (2005 – 2013), dans le génial 40 ANS, TOUJOURS PUCEAU (2005), ou dans l’encore plus génial PRÉSENTATEUR VEDETTE : LA LÉGENDE DE RON BURGUNDY (2004), il campe ici un personnage froid et calculateur qui glace le sang. Tour à tour impossible à percer derrière son masque de suffisance, puis d’une violence qu’il laisse éclater en un quart de seconde, Steve Carell démontre l’étendue de son talent, et qu’il n’est pas prêt à rester cantonné à la comédie. Grosse performance, qui sera vraisemblablement récompensée aux Oscars, puisque pour les Golden Globe c’est raté.

Channing Tatum et Mark Ruffalo ne sont pas en reste. Le premier montre encore une fois qu’il est aussi à l’aise dans la comédie que dans le drame. Si ce n’est toujours pas fait, il faut voir 21 JUMP STREET et 22 JUMP STREET, modèles de comédies débiles ultra jouissives. Les amatrices et amateurs de Channing seront ravis d’apprendre que le monsieur nous gratifie de son joli postérieur. Beau gosse, un corps de fou et talentueux. Le mec bien énervant. Ruffalo de son côté nous ressort son petit numéro habituel déjà vu dans IN THE CUT (2003) ou ZODIAC (2007). Il est un peu gauche, il est effacé derrière les autres comédiens, mais il en impose.

FOXCATCHER est un conte tragique moderne, sur la compétition, les jeux de pouvoir, la manipulation malsaine, la paranoïa, qui peut décontenancer par son classicisme et sa froideur. Mais le trio d’acteurs, parfait, est le pivot d’un film qui devrait repartir avec quelques récompenses lors des prochains Oscars.

3 / 5