The Rider

Il y a absolument tous les ingrédients pour imaginer un western américain : la plaine, le cow-boy, les chevaux et la musique. Tout le décor, toute l’ambiance, et tout le quotidien des personnages sont au goût du Far West, qui résonne encore dans le paysage. Sauf que ce Far West est désormais un fantôme auquel les personnages s’accrochent. THE RIDER capte un univers qui disparaît petit à petit, avec le genre western qui n’est plus qu’une influence. A travers de multiples symboles (la selle presque vendue cadrée en gros plan, le chapeau, les vêtements, les habitations isolées, etc…), Chloé Zhao filme les dernières traces du Far West et des westerns. A travers la blessure du jeune protagoniste, le film explore les cendres d’un univers laissé pour compte, tenant difficilement sur ses pattes, avec un besoin intérieur profond de l’embrasser à nouveau.

THE RIDER n’est pas un western, autant qu’il n’est pas un film sur le Far West. Il s’agit d’un anti western, d’une recherche sur ce qui reste d’une atmosphère qui a fait l’essence d’un pays. Ainsi, Chloé Zhao renverse complètement le schéma du western classique. Même le titre est trompeur, car il n’y a véritablement aucune scène de grand galop impressionnant. Le film peut faire penser à des personnages issus des oeuvres de John Ford. On ne peut, par exemple, que penser au fameux Tom Joad de LES RAISINS DE LA COLERE (The Grapes of Wrath) dans les attitudes de Brady. L’acteur amateur, qui incarne son propre rôle, a une figure de cinéma dans sa manière de représenter le héros impuissant, le héros déchu.

C’est pour cela que Chloé Zhao réussit à explorer une trame importante : l’apprentissage des jeunes dans un univers qu’ils côtoient quotidiennement (le dos de taureau en bois, la scène de lutte dans un salon, les deux frères saluant leur héros dans le supermarché) et la réalité d’un monde adulte moribond (le travail alimentaire, la recherche de vivres, le besoin d’argent, etc). THE RIDER ferait un fabuleux diptyque avec AMERICA de Claus Drexel – dont nous avons déjà parlé. Là où le film documentaire de Claus Drexel explore la marginalisation d’un ancien monde (l’Amérique éternelle représentée ici par un village bordant la Route 66), le film de Chloé Zhao dessine le portrait de cette Amérique éternelle qui vit dans l’illusion. Seul les angles de vue diffèrent : AMERICA a un regard dans un présent écrasé, alors que THE RIDER regarde avec amertume le passé.

Cet angle de vue permet à Chloé Zhao de définir précisément les contours de son récit. Le film commence directement avec la blessure en voie de guérison (l’accident n’étant visible que via une vidéo sur internet, visionnée par le protagoniste même). Le glorieux passé n’est qu’un lointain souvenir, comme les films de western et le Far West ; alors que le présent doit se composer d’une vie à refaire. Le film se concentre donc sur la rééducation, tel un nouvel apprentissage dans une vie moderne où il y a des factures, des soins, etc. Face à la fatalité de la convalescence et celle d’un univers fantomatique, il n’y a plus qu’à retrouver son identité. Le protagoniste doit se ré-inventer, il doit combler le temps abandonné par l’illusion.

Même si ce n’est pas aussi marqué que son précédent film LES CHANSONS QUE MES FRERES M’ONT APPRISES, Chloé Zhao est à nouveau dans la frontière entre le documentaire et la fiction. Encore à travers une étude en profondeur, ce film fait ressentir toute le temps passé par la cinéaste à observer ses personnages. La frontière se traduit par deux choix qui paraissent simples, mais qui s’y associent pour former le sentiment d’impuissance. Il y a la réalité physique, des corps blessés convalescents et des regards perdus dans l’horizon. Il y a aussi le reflet esthétique du western, encré dans un héritage symbolique du Far West. Avec plusieurs longueurs et un rythme lent, THE RIDER suit de manière apaisé la guérison de son protagoniste. Le documentaire sert à suivre rigoureusement l’adaptation à une vie nourrie par des mythes.

La réalité est si troublante, que le film navigue sur un ton grave et sans nostalgie. Ce sont les nombreux silences, les longues attentes des corps et l’étendue du paysage qui forment cette fausse épopée. Cependant, ce voyage intime du protagoniste – parfait reflet d’une cinéphile qui dresse l’image d’un genre influant mais disparu –, est la jonction entre deux traitements esthétiques. THE RIDER est à la fois une fable poétique et une fable sociale. Par la relation fraternelle entre un jeune convalescent et son mentor paralysé, ou les relations familiales parfois tendues et souvent très tendres et belles, ou par les relations amicales qui revitalisent une convalescence pleine d’amertume, c’est à la fois une foi en l’humanité et un regard délicat sur la souffrance intime. Quand l’exercice de la passion s’éloigne petit à petit, il n’y a plus que le danger et la souffrance. Chloé Zhao le capte parfaitement avec sensualité, afin de préserver ce qui reste d’une passion : un souvenir crépusculaire qui vit intérieurement.

THE RIDER
Réalisation : Chloé Zhao
Casting : Brady Jandreau, Tim Jandreau, Lilly Jandreau, Cat Clifford, Terri Dawn Pourier, Lane Scott, Tanner Langdeau, James Calhoon
Pays : États-Unis
Durée : 1h44
Sortie française : 28 Mars 2018

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