Une prière avant l’aube

C’est un univers troublant et torturé qui s’ouvre dès le début, sans aucun prologue. Le film place le spectateur directement dans l’action, comme un boxeur dans sa loge qui se prépare au combat. Dès les premières scènes, l’ambiance annonce l’intensité qui va parcourir le film. On ne sait rien de ce jeune homme, d’où il vient, de comment il s’est retrouvé en Thaïlande, etc. Tout ce qui compte dans le film, c’est de (sur)vivre (à) l’instant présent. Le film se présente alors comme un huis-clos, où la caméra est également prise dans le piège de l’arrestation et de l’enfermement. Jean-Stéphane Sauvaire a pris la décision d’accompagner son protagoniste avec la caméra, pour un certain degré de réalisme. Mais la brutalité et la violence qui règnent dans cette prison en font de l’impressionnisme.

Une ambiance terriblement sauvage mais terriblement fascinante, parce que l’humanité se confond avec la volonté de vaincre. Le film n’est pas loin de conter une auto-destruction, avec cette manière de toujours heurter les corps aux autres, de préférer l’action à la parole, de substituer le texte par l’image. Tout le langage du film est principalement dans l’image, avec une immersion qui fait ressortir la transpiration et la cruauté de cette prison. Même dans la bande sonore, il s’agit surtout de bruitages appuyés. Il y a une identité sombre et sauvage dans chaque personnage, c’est ce que le film fait ressortir. Le choix de l’acteur Joe Cole est donc tout à fait logique, connaissant déjà cette épreuve du jeu très physique, de cette cruauté violente, de cette ambiance mortifère dans la série PEAKY BLINDERS (même si l’esthétique est très différente). Il est parfait dans ce rôle, où il arrive parfaitement à confondre son corps avec son esprit, à faire que l’un soit la projection de l’autre.

Malgré un amour qui finit contrarié, le Billy Moore du film n’a que la boxe comme répit. C’est son seul moyen de survie. Sauf que, à la différence de JAWBONE de Thomas Napper (aussi de 2017), le protagoniste ici a la boxe comme argument de virilité et de pouvoir. Coincé dans ce dortoir (même si l’espace n’y ressemble pas vraiment), collé aux autres corps tout le temps, devant subir les règles des thaïlandais emprisonnés, le Billy Moore fictif doit prouver physiquement qu’il mérite le respect. Ainsi, UNE PRIÈRE AVANT L’AUBE est moins l’histoire d’un combattant junkie, que l’histoire d’un corps qui torture celui qui regarde. C’est le principe de l’esthétique, faite pour agresser le spectateur dès le départ. Jean-Stéphane Sauvaire a compris que s’il désire parler de violence, qu’il n’y a aucun temps mort à tolérer. Même si la trajectoire du film de boxe est assez ordinaire, sa construction est ambiguë et pleine de ruptures. A travers ce film très sauvage, le cinéaste dessine le portrait d’un monde où la violence est devenue importante, et où elle prévaut sur toute autre forme de communication.

Jean-Stéphane Sauvaire joue sur le temps, en coupant une action pour aller directement vers une autre action. Avec des corps et des muscles remplissant les cadres, une caméra à l’épaule, et des plans serrés frontaux, le cinéaste joue aussi sur des attitudes. Cette mise en scène et ce montage très explicites permettent au film de renforcer l’importance du hors-champ dangereux, d’appuyer les effets d’enfermement, et de créer l’illusion de l’isolement du corps vis-à-vis des autres. C’est un film qui vise à jouer avec les nerfs, car il semble se répéter, avec des variations modérées, pour finalement se révéler la féroce fatalité d’un manque d’espoir. Une prière avant l’aube, donc un souffle de fantasme avant de voir le recommencement de l’enfer. Et surtout, le titre fait écho à ce long moment qui s’écoule dans la noirceur. De même que les allers et retours permanents entre les différentes pièces de la prison, une sorte de boucle infernale qui ne mène qu’à une seule idée : être le dernier à tenir debout sans broncher.

UNE PRIÈRE AVANT L’AUBE de Jean-Stéphane Sauvaire
Casting : Joe Cole, Vithaya Pansringarm, Panya Yimmumphai, Nicolas Shake, Pornchak Mabkland, Somlock Kamsing, Sura Sirmalai, Komsan Polsan, Chaloemporn Sawatsuk, Sakda Niamhom.
Pays d’origine : Royaume-Uni, France, Cambodge
Durée : 1h56
Sortie française : 2018
Distributeur France : Wild Bunch

MISE À JOUR : lisez aussi cette autre critique du film, publiée lors de son visionnage au festival de Cannes 2017.

4 / 5