Don’t Breathe

Trois adolescents planifient un braquage. Leur objectif : dérober la fortune d’un aveugle. Mais une fois sur place, rien ne se passe comme prévu.

Révélé par ATAQUE DE PANICO, court-métrage de 2009, Fede Alvarez a choisi le chemin de l’horreur / épouvante. Mais ce qui l’attire davantage est le gore, la surenchère de violence par la torture. Ce n’est pas anodin d’avoir alors le remake d’EVIL DEAD comme premier long-métrage. Avec son compère Rodo Sayagues à l’écriture, il montre que sa volonté est d’explorer l’esthétique du genre. Toujours en partie produit par Sam Raimi et Rob Tapert (les papas de Evil Dead, via Ghost House Pictures), DON’T BREATHE reprend une ligne formée par le remake d’EVIL DEAD. Le cinéaste continue de faire de l’horreur une sorte de boîte de Pandore, un intérieur qui allie un rêve d’ailleurs et un gouffre macabre. Toute l’ambiance se décide par cet intérieur, renversant la tendance du fantasme : une fois passé les portes (de la cabane dans les bois, ou de la maison du vétéran aveugle) le rêve d’ailleurs change de pôle et se situe à l’extérieur. Comme dans les derniers plans du remake d’EVIL DEAD, la route représente la fuite vers l’espoir et la sécurité (fin du remake, premier plan et dernier plan de DON’T BREATHE), alors que le huis-clos est la perdition horrifique. S’enfoncer dans ces habitations est donc une pénétration dans un autre univers, un espace qui joue les faux-semblants car les éléments connus sont en réalité les plus terrifiants : l’architecture des maisons est le premier piège. Il est nécessaire de mentionner le rôle des caves, puisque l’idée revient dans DON’T BREATHE : la cave de la cabane dans EVIL DEAD est la source du Mal tout en l’alimentant, cette fonction est reprise ici. Fede Alvarez et Rodo Sayagues tiennent donc à dessiner une ligne directrice traduisant leur approche du genre ; avec eux l’horreur se nourrit des désirs intérieurs des personnages s’imageant sur un espace, pour le retranscrire de manière angoissante dans la réalité de l’espace.

Cependant, Fede Alvarez et son compère Rodo Sayagues n’oublient pas les codes qui font la nostalgie du genre. A coup de temporisations, de champ / contre-champ qui justifie une tension imminente, une poignée de jump scares bien placés, quelques notes musicales appuyées, etc. Mais ces éléments ne sont pas utilisés pour faire progresser le récit ou pour créer l’ambiance, ils sont les moteurs dans les changements de point de vue. Parce que lorsque le chien du vétéran aveugle attaque les personnages, son point de vue est aussi montré. Il ne s’agit pas d’opposer un groupe de trois jeunes cambrioleurs à un homme âgé qui veut les stopper, il s’agit d’explorer les différentes formes d’angoisses et de violence à divers degrés et regards. Ainsi, Fede Alvarez aime utiliser des clins d’oeil aux codes du genre, mais aussi des twists narratifs (non pas digne d’un grand film de Shyamalan) qui permettent de renouveler la construction horrifique de l’espace intérieur.

Il s’agit notamment d’une esthétique de l’outrance, de l’excès d’angoisse : le cadre entoure les personnages pour mieux les emprisonner dans des sensations horrifiques. Mais surtout, la caméra joue le jeu de l’opposition constante : la mise en scène n’a pas l’intention de ré-inventer quoi que ce soit dans les comportements d’un événement horrifique. Au contraire, l’intention de Fede Alvarez est d’appuyer son esthétique pour mettre en valeur une situation qui ne demande pas un épluchage au montage. L’objectif n’est pas de dé-constituer un puzzle et d’avoir une mise en scène éclatée avec un spectateur qui ne sait pas où regarder. L’objectif est d’avoir quelque chose de presque minimaliste pour se concentrer sur les effets produits. Ainsi, la symétrie s’invite de temps à autre pour enfermer les personnages, et il y a surtout une utilisation récurrente des contre-plongées mais aussi des plans américains : cela crée l’illusion d’un rapport de force et d’un enlisement dans cet intérieur horrifique. Un rapport de force également exprimé par la récurrence du survival, parce que les deux camps (les jeunes contre Stephen Lang) est un effet de miroir permanent, dans lequel l’impuissance est perpétuelle : le spectateur est pris dans la spirale du « n’importe quoi peut arriver n’importe quand ». On peut alors penser à Alfred Hitchcock, dont les personnages ont leur propre morale inaccessible avec des attitudes constamment en évolution.

C’est l’idée centrale du film : développer une esthétique dont le langage est accessible mais dont les effets posent une nouvelle approche sur l’horreur. Ainsi, Fede Alvarez utilise l’imaginaire pour développer une esthétique d’une violence folle. A l’instar d’EVIL DEAD dont la caméra subjective justifie la présence d’un démon, il faut convaincre et persuader du pouvoir de l’illusion. Ici, l’esthétique doit permettre de reconnaître l’espace des événements, que son démantèlement ne puisse jamais déranger les repères, il faut alors détailler chaque plan le mieux possible, pour alors renouveler l’espace avec la progression du récit. Tout en conservant une même ambiance, le but de l’esthétique est de retoucher / transformer / voire altérer chaque pièce de la maison pour que le rêve d’ailleurs ne disparaisse jamais. Parce que le fantasme de la fuite doit toujours survivre, il doit toujours se faire percevoir comme dans un état minimum. Chez Fede Alvarez, l’horreur et l’angoisse sont moins factuels qu’immatériels : la palette de couleurs chaudes et froides qui se succèdent dans la photographie de Pedro Luque ont pour mission de focaliser la source de l’angoisse, de dessiner et re-dessiner les formes de l’enfer.

Toutefois, il est question d’un enfer aussi bien intérieur qu’extérieur puisque l’esthétique travaille sur la cruauté sensorielle. A chaque scène, Fede Alvarez repense la portée du hors-champ (d’où la récurrence de plans américains) et repense également les formes de perception. Ce film d’horreur n’a rien de véritablement sombre, il l’est pas dans le regard qu’on lui porte. Parce que l’esthétique emprunte à plusieurs autres genres, que ce soit au thriller / à l’action / au fantastique. C’est dans ce dernier clin d’oeil que le film de Fede Alvarez se retrouve davantage. C’est en côtoyant le fantastique que l’horreur prend toute son ampleur, puisque l’habitation est une boîte de Pandore dont il faut s’extraire au plus vite, comme s’il y avait les allers-retours entre réalité et imagination dans A MATTER OF LIFE AND DEATH de Powell et Pressburger, mais dans une même image. En altérant son esthétique et transformant son espace global, le long-métrage torture ses personnages à travers plusieurs sensations – une sorte de fresque des possibilités esthétiques sensorielles. L’outrance est véritablement ici : dans le développement approfondie d’une forme qui montre toutes ses facettes pour faire perdurer la torture horrifique.

Les plans-séquences sont utilisés dans cette volonté de faire durer, de tenir en haleine le spectateur. Le recours au CinemaScope n’est alors pas anodine : permettant un large espace de liberté pour la mise en scène et le regard du spectateur. L’envolée sensorielle de l’esthétique est la complice évidente du suspense, car Fede Alvarez et Rodo Sayagues en ont un sens aigu. Avec leur compère Roque Baños qui compose une musique frissonnante et aérienne, l’intérieur de la maison se vit comme une suffocation permanente. Même quand une fuite est espérée, le premier refuge trouvé est la voiture : enfermé à l’intérieur, c’est l’extension de la suffocation dont le rêve d’ailleurs est traduit par les clés absentes. A l’instar de son remake d’EVIL DEAD, Fede Alvarez veut proposer un regard esthétique de l’angoisse entre horreur et fantastique, en laissant de côté le torture porn (inutile de faire une copie) mais en gardant l’outrance et la cruauté.

DON’T BREATHE réalisé par Fede Alvarez. Écrit par Fede Alvarez et Rodo Sayagues. Avec Jane Levy, Stephen Lang, Dylan Minnette, Daniel Zovatto. États-Unis / 90 minutes / 5 Octobre 2016.

4.5 / 5