Roxham de Michel Huneault : "innover sans perdre l'utilisateur" (VRArles Festival)

Roxham - VR - Frontières

La création fait souvent écho à l’actualité, et l’expérience ROXHAM présenté au festival VR Arles 2018 n’y fait pas défaut. Ce petit bout de frontière entre le Canada et les USA est un point de passage extrêmement surveillé, mais où des migrants tentent malgré tout de passer. Et se faire arrêter automatiquement par la police canadienne. Habitué des zones de conflits & aux problématiques géopolitiques, le photographe Michel Huneault explore cette faille migratoire à travers une expérience en réalité virtuelle enrichie d’une vraie couverture média par le quotidien le Devoir.

Michel Huneault, la passion du documentaire

Je suis photographe axé documentaire et audiovisuel, basé à Montréal. ROXHAM est mon deuxième projet en réalité virtuelle, mais le premier avec une réelle ampleur. Grâce à l’implication du studio interactif de l’Office national du film du Canada, toute une équipe de production m’a accompagné dans ce travail, notamment la designer interactive Maude Thibodeau (Dpt.) et la créatrice sonore Chantal Dumas.

Dès 2015, j’étais parti au Japon pour couvrir les conséquences du tsunami avec l’une des premières Ricoh Theta et réaliser mon premier reportage immersif 10 AUTRES MINUTES A TOHOKU qui revenait sur les zones détruites 3 à 4 ans après la catastrophe en suivant des japonais qui l’avaient vécue.

Je préfère le terme « document immersif » pour en parler car l’immersion peut être utilisé en salles, dans des panoramas géants ou juste par le son. Ce premier essai en vidéo 360 faisait partie d’un ensemble plus important, avec une exposition, des photographies, du son & de la vidéo. C’était une très bonne école pour appréhender de tels projets en production mais aussi en diffusion. Mes travaux sont souvent bien accueillis dans les milieux artistiques mais doivent également trouver leur voie en terme médiatique pour créer des discussions.

Roxham, un projet VR immersif & médiatique

En travaillant sur ROXHAM avec l’ONF (l’office national du film au Canada), j’ai réussi à dépasser mes craintes techniques en m’entourant d’une vraie équipe et emmener le projet sur des développements artistiques et médiatiques. J’ai approché les médias que je connaissais déjà pour leur parler du projet, et envisager un vrai dossier journalistique, en collaboration avec la journaliste Sophie Mangado, qui s’est finalement concrétisé dans le journal Le Devoir (lien). On a également imprimé les photos prises durant le tournage.

C’est une des forces de ROXHAM, qui tourne autour d’un enjeu relativement complexe : il fallait choisir les objectifs, ce qu’allait raconter l’expérience sans répéter mon propre point de vue. L’accompagnement d’autres supports a été très bénéfique pour compléter notre discours. De la même façon, les textures des visuels de migrants sont repris d’autres projets réalisés lors de la crise migratoire en Europe. Sur le même type de rencontres avec les migrants, les associations ou officiels leur donnaient des couvertures ; à Roxham il n’y a pas ce type de rencontre, qui peut changer la perception des gens, donner de l’humanité au moment. Cet instant unique, je l’ai recréé en calquant ces couleurs et textures sur les gens passés par Roxham.

Quand j’ai découvert Roxham, en 2017, je venais de terminer un autre dossier pour Le Devoir qui parlait d’envois d’argent entre diasporas (lien), cette fois en collaboration avec la journaliste Sarah Champagne. On avait découvert des familles au Canada qui communiquaient avec leurs proches à l’étranger. C’était aussi un dossier multimédia avec de la vidéo 360, etc… qui superposait plusieurs réalités. Tout était auto-produit avec Le Devoir.

Puis est arrivé l’attentat de la grande mosquée de Québec, qui m’a interpellé et que j’ai documenté. Pendant cet intense traumatisme social, et offrant un contraste frappant, les passages de demandeurs d’asiles eux augmentaient au chemin Roxham. J’ai donc commencé à m’y attarder. Le passage de Roxham existe depuis longtemps, mais a connu une forte hausse des passages depuis l’arrivée de Trump : 90% des demandeurs irréguliers d’asile au Canada arrivent par ce petit passage d’une dizaine de mètres de large.

Au Québec, la question des migrants cristallise beaucoup de débats dans la société. J’ai réellement compris la force de l’événement sur Roxham, l’universalité de cette problématique qui réunit des gens du monde entier. J’ai néanmoins souhaité cacher l’identité de ces personnes, tout en créant un lien avec le courant européen : c’est là que les textures des couvertures sont arrivés. Et l’important du son s’est révélé rapidement au centre de la question : tout a été enregistré en binaural pour mieux créer une connexion directe au sujet.

Roxham - VR

Conserver le spectateur au coeur du dispositif virtuel

Avec l’ONF le rapport était identique à celui d’un diffuseur classique. On travaillait en collaboration, et leur intérêt a été réel et rapide. Avec leur producteur exécutif, Hughes Sweeneyon voulait quelque chose de simple dans le dispositif. On avait carte blanche sur la conception, mais un budget limité. On pouvait passer par un diaporama très visuel, ou autre chose. Mais après 2 jours de réflexion, nous avons proposé du WebVR, pour que cela soit accessible, que le projet ait une vraie chance en diffusion sans frein technologique (ROXHAM est mainstream : smartphone, tablette, ordinateur…). Le projet existe aussi en exposition classique, images et sons. Une fois le choix du support fait, j’ai commencé à écrire et poser la narration en 7 chapitres pour encadrer l’utilisateur à travers toute l’histoire. Il fallait innover sans perdre l’utilisateur.

On peut utiliser des codes nouveaux, notamment dans la navigation à l’intérieur du projet. Mon premier défi était le public autour de moi, ceux habitués aux nouveaux formats mais pas au documentaire. La sobriété était essentielle pour aider à la compréhension. J’étais le gardien de cette esthétique, et cette volonté. Les enjeux étaient autant technique, que dans le vocabulaire : Roxham n’est pas un passage illégal, mais irrégulier.Selon le droit international, un demandeur d’asile peut se présenter à n’importe quel point de la frontière. On a ainsi développé un glossaire spécifique avec l’aide de l’ONF, de collègues journalistes (Sophie et Sarah), de juristes, de spécialistes des Nations Unies.

Roxham - Le Site

ROXHAM, c’est un concentré d’histoire(s), de problématiques politiques nationales et internationales, légales, qui se passe à moins d’une heure de chez moi. En quelques mètres, c’est un espace de transition qui change des vies venues du monde entier. Chaque personne passant par Roxham m’a rappelé les conflits que j’avais connu. Je réécoute encore certaines histoires.

https://roxham.onf.ca/