P’tit Quinquin

Écrit et Réalisé par Bruno Dumont. Avec Bernard Pruvost, Philippe Jore, Alane Delhaye, Lucy Caron. Mini-série de 4 épisodes, 50 minutes chacun. France. Première diffusion française le 18 Septembre 2014.

« On est pas là pour philosopher » dit le Commandant à son lieutenant. Une telle réplique, résumant si bien l’oeuvre, est surprenante venant d’un cinéaste comme Bruno Dumont. Auteur et réalisateur plutôt focalisé dans le tragique, dont dernièrement CAMILLE CLAUDEL 1915, le voici ici dans la comédie. Enfin, il faut préciser qu’il n’a pas oublié sa veine tragique. Cette mini-série, présentée par son auteur comme un long film de plus de trois heures, est surtout une tragi-comédie. Un tel revirement dans une filmographie ciblée dans un genre, c’est comme partir en vacances. On est sérieux pendant longtemps, avant de brutalement prendre le virage de la récréation. Il en faut, pour changer autant de registre.

Sauf que le comique dans cette mini-série n’est pas un humour raffiné, fin et tendre. Dès les premières scènes, Bruno Dumont joue avec la sensibilité du spectateur. Dans cette oeuvre, le cinéaste porte une confusion entre l’humour et la moquerie. On ne sait pas s’il faut prendre les personnages de haut, ou s’il faut rire par empathie. La réponse viendra quelques instants après, où il est implicitement montré que l’on peut rire de bon coeur, sans que cela ne devienne mal placé. En effet, l’intrigue de cette mini-série prend des allures de surréalisme, de bizarrerie. Bruno Dumont ne prend ni le parti de l’humour, ni celui de la moquerie. Son approche consiste à intégrer les deux dans le burlesque.

Les personnages sont le noyau de cette dimension burlesque. A noter que chaque acteur n’est pas un professionnel, ils sont tous originaires de la région nordiste (l’intrigue se déroule à Boulogne). Quand un vendeur d’automobiles devient un procureur, ou un simple jardinier un commandant de gendarmerie, … De là, le charme de la sincérité des acteurs est clair. C’est parce qu’ils jouent avec vérité, avec seulement ce qu’ils ont en eux, avec ce qu’ils connaissent autour d’eux, que les personnages sont intéressants. Bruno Dumont n’a aucun problème avec cela, au contraire. La caméra laisse paraitre un amour certain pour ces personnes et ces personnages. Le cinéaste français filme des gueules, tout simplement.

Que ça soit des visages avec des tics à gogo (comme un corps qui vient se défendre vis-à-vis de l’esprit), des grimaces (surtout les enfants, mélangeant l’innocence, l’initiation à la fougue), et surtout des allures (les postures des personnages traduisent toujours des situations incongrues alors qu’elles seraient normalement tragiques). Ce burlesque traduit avant tout un geste de légèreté, duquel on prend plaisir à suivre une intrigue cousue rigoureusement. Cette enquête policière, par son fond, est déjà insensée mais elle trouve tout son apaisement dans les personnages. Car le burlesque vient offrir quelque chose de précieux : nous ne sommes pas devant une enquête policière banale (même si les codes des meurtres en séries, des interrogatoires et des climax sont bien là), nous sommes surtout dans une tragédie au sein d’un microcosme humain.

Ce petit village nous est livré comme une sphère retentissant de nombreuses questions. Auxquelles nous trouveront des réponses petit à petit, où les personnages secondaires se dévoileront un à un. Comme si les enfants et le duo de gendarmes sont les facteurs clés pour que Bruno Dumont puisse manipuler ses personnages. Encore que ce terme de manipulation ne soit pas très bien approprié. Pour dire vrai, le cinéaste fait plutôt un travail de replacement. Il remet les choses en ordre, et évite de montrer les ch’tis comme des beaufs dans les clichés les plus durs. Bruno Dumont replace ses personnages dans l’humanité que l’on connait tous, mais dont les rêves nous les font oublier. Car avec le Cinéma, il y a cette tendance à fantasmer l’humanité, à en oublier certains défauts et à sur-évaluer les hommes.

Avec P’TIT QUINQUIN, plusieurs éléments (brefs mais bien présents) nous offre une satire de parties de l’humanité. On peut relever le portrait grotesque fait des gendarmes, l’animalité placé dans les agriculteurs/fermiers du village, l’idiotie de la jeunesse, les irrésistibles envies de se voir plus haut, les traditionnels problèmes de triangles amoureux, etc… Les personnages sont inscrits dans le détraquement des allures, l’outrance des geste, le jusqu’en-boutisme du texte. Jusqu’à ce que les personnages soient eux-mêmes perdus dans le vertige de leur étrangeté. Tout ceci se rejoint par un seul détail, celui qui fait le thème de toute la carrière de Bruno Dumont. Malgré l’aspect prioritairement comique de la mini-série, il y a la tendance à terminer sur le tragique : là où le mal trouve toute son absurdité entre les hommes.

A travers les gens du Nord, Bruno Dumont délivre tout de même un message d’espoir. Cette absurdité du mal est indéniable, et revient toujours. Mais le beau n’est jamais très loin, comme une sorte d’échappatoire à ce mal, pourtant accessible que par le regard (car les corps retournent sans cesse vers le mal). De nombreux plans subjectifs nous offre cette issue. On peut aussi compter sur de courtes focales, sur des plans larges, sur des plans contemplatifs, etc… Outre l’amour qu’il porte à ces personnes et ses personnages, Bruno Dumont filme la beauté des paysages. Que ce soit les champs verts, l’immensité de la mer, les rues interminables, l’austérité des terres agricoles ou des cours des fermes : il y a dans ces plans un lien entre le beau et l’esthétique. Malgré le mal qui plane au-dessus de ces villageois, il en reste le mystère de la nature. Comme si un questionnement métaphysique venait rejoindre les personnages dans leurs relations compliquées. Il suffit de regarder la lumière de chaque plans : les visages sont ouverts, et les regards se croisent sans cesse. Les personnages sont indissociables, ils sont tous reliés dans cette place que leur réserve l’humanité. Dans tous les cas, le petit monde de Bruno Dumont tient bien debout.

4.5 / 5