The Night Of – magnifique décadence

C’est avec le rythme et la minutie d’un horloger suisse que HBO nous propose tous les ans sa mini-série.

En 2014, on rencontrait la sublime et néanmoins acariâtre Olive Kitteridge.

En 2015, on sombrait de bonheur avec le très tragique Oscar Isaac de Show Me A Hero

En 2016, c’est autour de The Night Of de nous faire basculer.

L’histoire d’un tournant

Le 24 octobre 2014, un élève modèle et sans histoire décide de se rendre à une soirée de son lycée où seuls les étudiants les plus populaires sont invités. Ses plans changent quand une fille aussi mystérieuse que charmante l’invite à venir chez elle où ils improvisent une contre-soirée à base d’alcool et de drogues. A son réveil, rien ne sera plus comme avant ; c’est le début d’une descente en enfer.

The Night Of un tournant

Adaptation de Criminal Justice, une série britannique datant de 2008, The Night Of est plus qu’une sombre enquête criminelle ; c’est une série sur la naissance d’un héros. Il y a quelque chose de très tragique, au sens grec du terme. Il aura fallu un crime pour le rendre beau, fort et intéressant, superbe… bref, pour le transformer en héros. C’est presque comme une maladie, une maladie qui se propage et qui change profondément les êtres : le vertueux devient malin, le paria devient modèle.

Le crépuscule Américain

La dernière pépite d’HBO interroge l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui.

Tout aurait pu s’arranger pour le personnage principal sauf qu’il s’appelle Nasir Khan, qu’il est d’origine Pakistanaise et qu’il vit dans une Amérique marquée par le 11 septembre. La chute de « Naz », c’est aussi celle du melting pot américain.

Finie la mixité sociale, finie également la justice. Tout l’appareil semble gangréné par les luttes de pouvoir que les uns et les autres mènent.

Ainsi, John Stone, l’avocat de Nasir, est vérolé… par son eczéma purulent qu’il est obligé d’afficher aux yeux de tous… mais aussi par son avidité qui l’amène à davantage conclure des arrangements avec le procureur qu’à prouver l’innocence de son client. L’intérêt financier personnel de Stone prime sur celui du client.

The Night Of avocat

Même constat consternant pour l’équipe du procureur. Tout l’enjeu pour elle est d’aller le plus vite possible ; cette fuite en avant est motivée par la peur de perdre. C’est la preuve de la déliquescence du système judiciaire américain dans son ensemble.

A la recherche de valeurs

Face à cette corruption galopante et à l’inégalité sociale, une justice parallèle s’est développée en prison. Riches, pauvres, protégés ou non, si vous êtes reconnus coupables on vous condamnera et cette justice est implacable.
The Night of

Face à la laideur des gens, les uns et les autres trouvent refuge dans la beauté. Nasir Khan est beau. Il a une gueule d’ange. Difficile de croire ainsi que derrière ce visage, c’est un potentiel meurtrier. Superficielle en apparence, cette conviction est centrale dans la série… et en dehors. On y lit ici une référence claire à la récente actualité américaine. En effet, un courant existe pour contester la culpabilité de certains meurtriers comme par exemple Djokhar Tsarnaïev, le poseur de bombes de l’attentat de Boston : il serait trop beau pour être un monstre.

La (re)naissance d’idoles

Avec son script dense et riche, The Night Of ne serait rien probablement sans l’équipe derrière et devant.

Aux manettes de la dernière production d’HBO, on retrouve Richard Price et Steven Zaillan, deux scénaristes à la filmographie relativement chargée. Le premier s’est fait connaître pour ses romans et ses scénarios particulièrement engagés – on citera ainsi The Wire, cultissime série politiquement orientée et Clockers, adapté par Spike Lee. Le second s’est spécialisé dans les histoires mettant au défi vos nerfs et votre cerveau – on lui doit en outre les scénarios du Stratège ou encore du Millenium de David Fincher. En s’associant, ils offrent à la série une histoire profonde et intense, mêlant subtilement enquête et critique sociétale. On comprend pourquoi ils collaborent régulièrement avec le père Scorsese.

Autre véritable révélation de la série : Riz Ahmed qui incarne Nasir Khan. Pourtant le trentenaire, rappeur à ses heures perdues, n’en est pas à son premier coup d’essai. Souvenez-vous, vous avez dû le croiser dans Four Lions, excellente comédie britannique sur des apprentis terroristes aussi dégourdis que les chevaliers de la table ronde des Monty Pythons ou encore dans The Night Crawler. Dès les premiers épisodes, il fait preuve d’une incroyable intensité dans la peau de ce jeune, paumé dans la vie et qui semble trouver son chemin une fois arrivé en prison.

The Night Of

Pour finir, on citera l’inattendu et éblouissant John Turturro dans le rôle de John Stone. S’il nous avait longtemps habitué à ses rôles de clown, notamment dans le légendaire Big Lebowsky, Turturro fait preuve d’une remarquable retenue et s’offre un rôle à la hauteur de son talent. Et pourtant… pourtant, ce n’était pas gagné d’avance. En effet, le rôle était auparavant destiné à James Gandolfini, la star des Soprano, extrêmement impliqué sur le projet. A son décès, HBO avait décidé de faire appel à Robert De Niro avant que celui-ci ne se décommande pour problème d’agenda (une énième erreur de carrière pour un De Niro totalement perdu depuis 15 ans). Résultat des courses, John Turturro est impressionnant et signe l’un des plus beaux come-back de l’année avec celui de Winona Ryder dans Stranger Things, autre série révélation de l’été.

The Night Of Gandolfini

Diffusion USA : HBO

Diffusion France : OCS

 

5 / 5