Dracula (2020)

Une nouvelle version du personnage de Dracula, du roman éponyme de Bram Stoker. Steven Moffat et Mark Gatiss, créateurs de la série SHERLOCK, revisitent ce mythe avec du sang, de l'horreur, un peu d'humour, du baroque et plein de surprises. Vous n'êtes pas prêt-e-s.

Après la série SHERLOCK, puis un passage de quelques années aux commandes de DOCTOR WHO, le duo Steven Moffat et Mark Gatiss sont de retour à la télévision britannique. Après une version saluée du détective, le duo se penchent à nouveau sur un classique de la littérature britannique. C’est avec grande curiosité et passion qu’ils livrent une nouvelle version de Dracula par Bram Stoker. La mini-série est écrite et diffusée en trois épisodes, qui ont une chronologie narrative, mais qui peuvent faire penser à la construction d’une anthologie. Tout simplement parce que seulement deux personnages apparaissent dans les trois épisodes : Dracula (incarné par Claes Bang) et Agatha (incarnée par Dolly Wells).

Tout commence dans l’époque victorienne, avec Jonathan Harker, exactement comme dans le roman. Mais Steven Moffat et Mark Gatiss sont loin d’être novices, et traitent avec leur propre imagination. Ainsi, DRACULA est une relecture de l’histoire d’origine. Plusieurs libertés sont prises durant tous les épisodes (surtout le troisième). Mais le duo de scénaristes n’oublient pas ce qui fait l’essence du mythe qu’est le personnage Dracula. Le premier épisode a une grande dose d’images chocs et sanglantes, dont les plus sensibles ne pourraient pas supporter. Ce premier épisode est également un regard extravagant sur le mythe, n’hésitant jamais à ce que le fantastique rencontre le grotesque. Moffat & Gatiss savent qu’ils ne peuvent réitérer tout ce que l’on a déjà vu sur ce personnage (un certain film de Francis Ford Coppola et les films de la Hammer sont passés par là). Ce premier épisode a une esthétique très baroque, épousant la beauté étrange et tourmentée de l’époque victorienne. Les pierres, les murs décrépis, les nombreuses bougies, le goût pour les grands espaces, etc… sont autant d’éléments qui montrent la source esthétique infinie qu’est l’époque victorienne. Ce premier épisode a aussi quelque chose d’irrévérencieux, par son humour dérangeant et son traitement de personnages religieux. Surtout lorsque le duo de scénaristes s’amuse à créer un miroir de huis-clos entre le palace de Dracula et le couvent où se trouve Sœur Agatha. Une mise en scène labyrinthique et suffocante, montrant que Moffat et Gatiss sont fiers de leur épisode « Heaven Sent » de la saison 9 de DOCTOR WHO. Ce début de DRACULA est comme un croisement horrifique entre cet épisode de DOCTOR WHO et la folie de SHERLOCK, en renversant quelques codes.

Puis, arrive le deuxième épisode. Grande surprise : l’épisode 1 se termine sur un cliffhanger, mais Moffat & Gatiss choisissent de ne pas y répondre (enfin, pas tout de suite). Ils jouent avec nous, spectateur-rice-s, autant que Dracula joue avec ses victimes. Ici, nous avons un nouveau huis-clos, bien loin du couvent et du palace de Dracula. Ce-dernier est en plein voyage vers Londres (série britannique, donc tout ramène vers le Royaume-Uni, évidemment). Sans dévoiler où se déroule le huis-clos de cet épisode, il y a quelque chose de très mystique et tiré des floklores dans ce deuxième épisode. Le genre horrifique se marie parfaitement avec le genre fantaisie. Dans une narration propice au récit d’aventure, Dracula s’immisce dans un voyage où l’ambiance est plus anxiogène que dans le premier épisode. La découverte et l’exposition passée, Moffat et Gatiss peuvent dérouler toute la panoplie horrifique et malsaine dans cet épisode. Le duo de scénaristes s’amusent, au point de clairement convoquer les codes des films horrifiques et fantastiques qui faisaient le succès de la Hammer. Dans ce nouveau huis-clos, Dracula joue avec les esprits des personnages, déambule et distille le doute au sein de ses camarades de voyage, tout comme Moffat et Gatiss s’amusent avec l’ambiguïté de plusieurs trous scénaristiques. Le puzzle est souvent incomplet, et l’épisode joue de cela pour finalement nous révéler un fabuleux twist. Un épisode qui, avec ses biens meilleurs trucages numériques face à l’épisode 1, peut faire penser à un mélange savoureux de whodunnit, d’Agatha Christie et de film de genre à la Hammer.

Le final du deuxième épisode est encore plus ambiguë, très surprenant et surtout déstabilisant. On se demande bien pourquoi Moffat et Gatiss ont voulu un tel saut dans le temps, pour retrouver Dracula à une toute autre époque dans cet épisode final. Sans en dévoiler l’époque, l’épisode est loin de l’époque victorienne et adopte donc une toute autre esthétique que les deux précédents épisodes. Un revirement qui peut choquer et interroger, mais il s’agit d’une jolie manière d’explorer le mythe de Dracula sur une nouvelle génération de personnages (évidemment liés aux personnages des deux précédents épisodes). On y trouve enfin des personnages iconiques du roman de Bram Stoker qui étaient absent des épisodes précédents. Mais surtout, ce dernier épisode est loin de l’horreur et de la fantaisie de ses prédécesseurs. Il y a beaucoup plus d’ironie et d’humour dans ce troisième épisode, notamment dans la manière de confronter Dracula à cette nouvelle époque. Même si, à plusieurs moments, on se demande l’intérêt de ce troisième épisode (avec une séquence finale très farfelue), cet épisode n’en finit pas de charrier les films de vampires contemporains. Alors que l’épisode a ce petit quelque chose de SKINS et de CLIQUE dans sa première demi-heure, le reste est bien plus horrifique classieux. Par ses nombreuses couleurs, sa photographie projette une sensation d’hallucinations dans une société qui a progressé technologiquement. Dans le vide et les artifices d’un monde proche d’aujourd’hui, cet épisode 3 explore l’absurdité d’une époque bruyante et concentrée sur l’image de soi.

Même si la conclusion (les dernières vingt minutes) est plutôt décevante, car expédiée et cherchant absolument un sens concret à cette relecture (chercher un propos, plutôt que chercher un geste artistique), la mini-série reste tout de même une belle découverte. DRACULA, par Steven Moffat et Mark Gatiss, ne marquera peut-être pas l’Histoire de la télévision, ni même l’Histoire des adaptations du personnage, mais elle vaut pour son regard à trois branches, pour son récit presque en anthologie, pour son esthétique si variée, pour son ambiance et sa mise en scène extravagante. Enfin, la mini-série vaut pour son personnage de Van Helsing : surprenant, passionnant et délicieux.


DRACULA
Création Steven Moffat, Mark Gatiss
Casting Claes Bang, Dolly Wells, Morfydd Clark, John Heffernan, Joanna Scanlan, Matthew Beard, Jonathan Aris, Sacha Dhawan, Patrick Walshe McBride, Lily Dodsworth, Phil Dunster, Samuel Benkin, Lydia West
Pays Royaume-Uni
Diffusion  1er Janvier 2020 (BBC One), 4 Janvier 2020 (Netflix France)
Durée 3 épisodes de 90 minutes