American crime – saison 1 : le rêve américain ?

Ah, le début d’année, sa mauvaise galette, ses hasardeuses projections sur les prochaines tendances, son 1010010001 CES, ses bonnes résolutions… Ce dernier point étant le plus important (les résolutions ; pas le .).

Si Zone Interdite s’est résolue à traiter chacun de ces sujets de fond en décombres, ma résolution garantie 4k sera d’écrire plus régulièrement sur ce blog, haut-lieu de culture, synonyme d’avant-garde, de clairvoyance (pardonnez-moi, après plusieurs mois d’absence, comme la décence dans la parole d’un politique, je me dois aujourd’hui de minauder avec la direction du blog). Et quoi de mieux que de commencer par la série ignorée du plus grand nombre en 2015 et pourtant grande gagnante des Primetime Emmy Award : American Crime.

American Crime

Un crime, quel crime ?

« La petite ville de Modesto en Californie est bouleversée par un crime odieux, soupçonné d’être raciste, qui divise les différentes communautés qui la compose. Tandis que les enquêteurs cherchent la vérité sur ce qui s’est véritablement passé, troublé par les médias qui s’en mêlent, les familles des victimes tentent de faire leur deuil en espérant que justice soit faite. Quant aux familles des accusés, elles veulent comprendre… »

A la lecture du titre et du pitch, on pourrait s’attendre à une énième série policière nous proposant de résoudre une énième affaire sous le principe d’un Law & Order à la sauce 2015 (c’est-à-dire en intégrant une lecture sociale du crime et en abordant la corruption politico-atlantico-médiatique… la fameuse). Cette impression se renforce d’ailleurs dès le premier épisode qui nous propose de suivre les premières minutes de l’enquête : de la découverte au téléphone de l’horreur par les parents jusqu’à l’appréhension du premier suspect.

Un crime familial

 

Sauf que voilà, ça s’arrête là. N’allez surtout pas imaginer que vous allez suivre ainsi des détectives en imper ou l‘équipe du procureur voire la défense, leurs portes resteront aussi closes que celle de Volkswagen en pleine tempête.

La série créée par John Ridley se veut en réalité une fresque sur la société américaine dans ce qu’elle a de plus actuelle : le racisme latent, la méfiance, l’individualisme, l’implosion de la famille… Oui, l’American Dream n’est plus ce qu’il était.

Alibi sociétal

S’il y a bien un crime dont ne traite pas American Crime, c’est finalement du meurtre sur laquelle la série d’ABC s’ouvre.

Si la série d’ABC nous propose de plonger dans l’intimité des protagonistes, c’est justement pour ne pas nous laisser regarder ailleurs, pour mieux nous forcer à rationnaliser ce qu’ils vivent, pour sortir de la simple émotion pour atteindre la réflexion.

American Crime : un alibi sociétal

 

American Crime préfère en fait se concentrer sur le reste ; ces petits ou grands écarts qui nous attirent progressivement vers le grand désarroi ; ces obscénités, banales ou non, que tout le monde commet et qui nous conduisent à relativiser chaque situation : la victime est-elle coupable ?

Matt Skoki, la victime dont tout le monde parle mais que l’on ne voit jamais, n’a-t-il pas simplement mérité ce qui lui est arrivé ? Non seulement il battait sa femme mais en plus il dealait. En un sens, il est le véritable meurtrier. Son crime ? Avoir tué l’illusion du rêve américain, lui qui en était pourtant le porte-étendard, lui l’ancien combattant marié avec l’ancienne reine de beauté de la ville.

Toutefois, cette image d’Epinal a la vie dure. La mère de Matt jouée par Felicity Huffman, ex Desperate Housewives – le seul véritable plaisir de ce marivaudage abrutissant des années 2000 – affiche un déni de réalité à toute épreuve. Femme blessée (son ex-mari jouait de la bouteille et à la roulette), elle se mue en mère éplorée, nouvelle figure de la ménagère américaine, convaincue d’un racisme anti-blanc – résultat de 30 ans d’âpre sérénade néo-libérale. Si son fils a été tué, c’est à cause d’un junkie noir, Carter Nix qui en voulait à sa vie, et non parce qu’il vendait à ce même personnage de la drogue. Elle se veut le dernier rempart d’une communauté blanche qu’elle pense lynchée à la moindre occasion, coupable par avance. Une logique qui met mal à l’aise et qui la rend peu crédible à partir du moment où elle est rejoint dans sa lutte par un groupe de défense résolument raciste et plaidant pour la séparation des communautés par type de couleur (#Fergurson) avec la raison suivante : Dieu a séparé les couleurs de l’arc-en-ciel, nous devons en faire de même avec les hommes.

A l’inverse, Carter Nix, le principal suspect, est-il le grand coupable ? Sa sœur (Aliyah pas Marlène) en est persuadée : le crime de son frère est simple : il est noir. C’est parce qu’il est noir que l’administration, 100% blanche, s’en prend à lui. Un raisonnement qui pourrait parfois nous faire douter des preuves accablantes s’il n’était pas alourdi par la croisade religieuse sous-jacente – sa sœur est une activiste d’une communauté musulmane, persuadée que la drogue est une invention des blancs pour asservir les noirs.

Chaque personnage fait ainsi office de pierre d’achoppement entre le rêve américain et la réalité. Le crime originel est ainsi un alibi pour une dissection d’une société malade.

Grosse fatigue

L’usure. Plus qu’un symptôme, l’usure est une des causes de cette maladie. Tous les personnages semblent fatigués à l’image de la société américaine. Ils sont fatigués d’avancer, fatigués de se battre. Seuls les groupuscules plus extrémistes, ceux qui se cristallisent autour de la soi-disant dimension raciale du crime, semblent en pleine dynamique. Ils sont plein de vie, ils vont de l’avant, s’activent… Et dans leur dynamique, ils participent à empirer la situation encore un peu plus.

 

American crime grosse fatigue

Le souvenir est l’autre cause de tout cela. Il bloque les protagonistes dans un rôle, il les fige dans des actions. On ne saurait pardonner ou tout remettre en cause. Il faut que chacun joue son rôle et malheur à celui qui ne joue pas son rôle. Ainsi, la mère de Matt Skoki ne pardonne pas à son ex-mari son comportement passé. Une de ses amies et confidentes, elle dont le fils a été également tué quelques années auparavant, vit toujours dans le souvenir de ce crime.

Chacun cherche une échappatoire qui pour beaucoup semble être le voyage ou plutôt la fuite. Fuir Modesto, fuir le passé, fuir la justice… Mais la fuite ne dure qu’un temps et attention à ceux qui reviennent. C’est le cas du frère de Matt Skoki, militaire stationné en Allemagne, son énergie s’épuise rapidement car il n’arrive pas à faire face à son passé, à sa famille… et en fin de compte à lui même.

Trois solutions apparaissent alors : l’oubli, le pardon… et la dernière, je vous laisse la découvrir.

Diffusion aux Etats-Unis : ABC

Diffusion en France : Canal +

4.5 / 5