François Floret : «La Route du Rock, on la ressent au plus profond de nous-mêmes»

Il y a quelques jours, nous avons rencontré François Floret, directeur et tête pensante de la Route du Rock. Ce fût l’occasion de discuter de la programmation, de l’image du festival ou encore de la qualité de la bière. Interview garantie 100% sans Björk.

La Route du Rock, c’est une espèce de «Wikipédia festival»

La Route du Rock, c’est 4 jours de fête, mais sans doute beaucoup de boulot… Comment ça se passe, la préparation en amont du festival ?

Vaste question… Dès qu’une édition se termine on s’y remet. Ce que je dis souvent, c’est que la Route du rock, on la ressent au plus profond de nous-mêmes. Dès qu’on boucle une édition, on est déjà en train de penser à la suivante. On n’a pas vraiment de timing précis, même si il y a des processus : on lance la communication fin mai, on boucle la programmation fin avril … Ce sont des objectifs. On y pense tout le temps et dès qu’on a une idée, on la soumet aux copains. La Route du Rock, c’est une espèce de «Wikipédia festival», parce que le danger c’est de s’enfermer chacun dans des rôles. En tant que directeur général, je suis plutôt un catalyseur. Je sais où on veut aller, et mon rôle c’est de récupérer les bonnes idées des uns, des autres … Ça peut venir des bénévoles, des stagiaires, même de quelqu’un avec qui je discute dans la rue. Nous sommes très ouverts là dessus, ça fait avancer.

La programmation, c’est plus intime. C’est quelque chose que l’on travaille à deux avec Alban. Il s’occupe officiellement de ce travail . Je suis co-programmateur dans le sens où je valide avec lui les idées. C’est un truc qu’on a en tête en permanence. Demain, si je vais boire un coup chez un copain et qu’il me fait écouter un truc que je ne connais pas et qui me plaît, je lui en parle, et inversement. Sinon, on traîne tout le temps sur internet, on écoute ce qui se raconte sur les autres évènements, comme tous le monde en somme. Après, ce qui fait peut-être notre spécialité c’est qu’on a une sensibilité commune, on ressent vraiment ce qu’est la Route du rock, ce que l’on a envie d’en faire. On sait assez vite mettre un filtre sur ce que l’on a envie de programmer ou pas.

on était un peu branleurs. On s’est calmé et on est revenus dans le projet artistique pur.

On voit dans la programmation de cette année des noms qu’on a pu voir dans beaucoup de festivals, comme Rone ou Jungle … C’est une volonté de rendre le festival plus ouvert, et pour toucher de nouveaux publics ?

Le premier objectif c’est que les artistes aillent dans le projet artistique du festival, et ils ont tout-à-fait leur place tous les deux. On ne va pas se dire : « c’est connu alors on va pas le faire ». Je sais qu’il y a des gens qui nous reprochent des fois de faire jouer des groupes qui sont passés ailleurs, mais je pense que sur les 30 groupes qui vont jouer, il n’y a pas énormément d’artistes qu’on peut retrouver partout sur les festivals d’été. On ne s’interdit rien, ça nous fait plaisir de faire des grands noms. On ne se dit pas : «On est indé, il faut que l’on fasse uniquement de la découverte ».

On aurait pu être cons comme ça il y a quelques temps, parce qu’on était un peu branleurs. On s’est calmé et on est revenus dans le projet artistique pur. Je sais qu’il y a quelques années je refusais de faire des interviews sur certains médias parce que je les trouvais trop populaires, genre TF1 ou des trucs comme ça. Je trouvais ça naze, et c’est con, parce que l’idée c’est de rendre le festival le plus populaire possible. Si on peut amener des gens qui ne seraient pas venus à la Route du rock parce qu’ils n’ont pas eu la bonne info, c’est dommage. Autant aller parasiter tous les médias pour leur dire : « Venez, vous allez voir, il y a autre chose que la soupe qu’on vous sert à la radio »

François Floret tenant un parapluie rafistolé devant un rideau métallique gris clair.

François Floret tenant un parapluie rafistolé devant un rideau métallique gris clair.

Ce qui rend le festival aussi atypique, c’est aussi la diversité des genres, le choix des artistes. Comment réussissez-vous à harmoniser la programmation de façon générale, et de façon plus précise, dans celle d’une soirée du festival ?

C’est pas compliqué : on n’écoute que notre ventre. On programme des groupes qui vont nous faire chavirer, nous interloquer. À la base on n’essaye pas de construire la programmation en se disant : « il faut tant d’artistes électro, tant d’artistes pop… ». Effectivement, on essaie de toucher à tout parce que dans ces musiques indés, il y a un peu de tout donc, et donc tellement de choses intéressantes.

C’est un crève-cœur tous les ans de faire des choix. Cette famille musicale est tellement riche qu’en piochant ce qu’il y a de plus intéressant dans les nouveautés, on laisse forcément des choses de côté. Après, effectivement, on s’oriente un peu plus sur certaines choses, notamment sur la partie électronique.

C’est assez récent d’ailleurs …

Oui, depuis 3 ans. 2012 a été une année catastrophique, il a fallu se demander pourquoi, et la raison était artistique. Il y avait une programmation qui était assez molle, beaucoup de guitare et pas grand chose d’excitant, de glamour, de sexy. On a remis les choses à plat et on s’est dit que l’édition 2013 devait être plus clinquante et plus pétillante. On a enclenché la seconde en 2014, et on repart sur les mêmes bases cette année.

On a un public d’amoureux de musique indé, comme nous. On pourrait faire partie du public. Je pourrais être fan de ce festival. Ça n’empêche pas que ces gens-là ont aussi envie de s’éclater à un moment et de se lâcher en fin de soirée. Mais attention, se lâcher sur des groupes cohérents.

On est intéressants à priori pour des gens, et être aussi peu reconnu en local, ça fait très mal. Sur le site de la mairie de Saint-Père, il n’y a pas une ligne sur la Route du rock. La commune nous reçoit depuis 23 ans.

Le festival, parce qu’il a lieu dans le fort Saint Père, a une capacité limitée. Est-ce qu’un jour la Route du Rock le quittera pour pouvoir accueillir plus de festivaliers ?

On n’exclut rien car on parle depuis plusieurs années de partir. Ce ne serait pas forcément pour grandir, mais parce que c’est compliqué de travailler en local avec certains élus. On est assez mal compris je crois, voire même pas compris du tout, notamment sur la commune de Saint Père. C’est surtout pour des questions de reconnaissance. Je ne vais pas faire ma pleureuse mais on est un festival international et on a la chance d’avoir des retours énormes comparés à notre taille. On est intéressants à priori pour des gens, et être aussi peu reconnus en local, ça fait très mal. Sur le site de la mairie de Saint-Père, il n’y a pas une ligne sur la Route du rock. La commune nous reçoit depuis 23 ans. Pas une ligne sur le festival. Partir, oui, pourquoi pas. Mais pas pour grossir, pour retrouver des gens qui ont envie de travailler avec nous.

Que diriez-vous aux gens qui catégorisent la Route du rock comme un festival « branché », voire « snob » ?

Dans l’organisation, on n’est pas comme ça et je n’ai pas envie que nous soyons catalogués comme tel. On est très simples et on partage la musique avec des gens qui l’aiment comme nous. Ce n’est pas une raison pour dire que l’on est méprisants. On ne fait pas ça pour ça. On ne fait pas comme tous les festivals, en terme d’artistique notamment, mais leurs choix se respectent. Si il y a du monde chez eux c’est qu’il y a de la demande.

C’est vrai qu’on a un peu merdé en terme de timing, notamment sur le camping.

Cette édition amène son lot de nouveautés, et les réactions sur les réseaux sociaux ne sont pas toujours tendres sur l’organisation. Le festivalier de la Route du Rock est toujours aussi râleur, ou c’est particulier cette année ?

Un peu des deux. Sur les réseaux sociaux, les gens interviennent souvent pour râler. Je peux comprendre parfois, parce que c’est vrai qu’on a un peu merdé en terme de timing, notamment sur le camping. On aurait dû annoncer qu’il était payant en même temps que l’on a ouvert les billetteries. On n’était pas prêts dans nos têtes, on n’avait pas décidé, il y avait des débats encore en interne, et en effet on a communiqué un peu tard.

Après, sur le fait que le camping devienne payant, il ne faut pas exagérer. Quand on regarde les autres festivals, on est à deux euros la journée là où certains coûtent 50 euros. L’objectif du camping, c’est pas de faire de l’argent, puisque celui que l’on récupère ( NDLR : entre 10 et 15 000 euros ) est réinjecté en matériel et en sanitaires. C’est surtout l’idée de pouvoir comptabiliser les gens, d’avoir un chiffrage précis pour pouvoir adapter le périmètre et paramétrer les sanitaires et la sécurité.

Il faut que les gens sachent qu’on connaît nos lacunes sur l’accueil depuis des années.

On va également maximiser les sanitaires à l’intérieur du site et personne ne nous aidera financièrement pour ça. Il faut que les gens sachent qu’on connaît nos lacunes sur l’accueil depuis des années. Maintenant qu’on a fait les travaux, on va pouvoir évacuer les eaux usées, et de ce fait installer plus de sanitaires.

On a aussi changé l’emplacement de la seconde scène, qui fera face à la scène principale. On a expérimenté beaucoup d’emplacements avant de trouver. Là, les gens n’auront plus qu’à tourner la tête pour voir le concert. A priori ça devrait plaire. À l’ancienne place de cette scène, à l’entrée, on mettra tous les restaurateurs. Il y aura également une grande tonnelle avec des places assises. On écoute ce que les gens nous disent, et on savait depuis des années qu’on devait changer ça.

On va aussi essayer d’éviter la queue avec la nouveauté 2015, le cashless, qui sera généralisé sur le festival. L’intérêt de ce système c’est que tout le monde joue le jeu. On pourra se servir de la carte à tous les stands, y compris pour la nourriture et au merch. C’est du « tokenless » quoi. C’est intéressant pour tout le monde, normalement ça devrait être plus rapide pour le public. Pour nous, en tant que producteurs, ça fait moins de cash sur le site. C’est moins dangereux, et ça nous permet d’avoir des statistiques de ce qui est consommé et de travailler en approvisionnement et en ravitaillement des bars.

Chez nous, il n’y a pas vraiment de drogue dure. […] C’était souvent des médicaments ou des herbes de Provence.

« What’s in my baggy », une association anglaise qui souhaitait tester les drogues des festivaliers dans des évènements anglais pour éviter des overdoses, s’est vue refuser l’entrée par les festivals organisateurs. Est-ce que vous seriez prêts à accueillir ce genre d’initiatives à la Route du rock ?

Chez nous, il n’y a pas vraiment de drogue dure. À une époque c’était le cas, il y avait pas mal de connards qui venaient dealer, et on a fait un gros travail là-dessus. Et dans le peu de trucs qu’on a réussi à récupérer depuis, il n’y avait pas grand chose de dangereux. C’était souvent des médicaments ou des herbes de Provence. On est plus sur la bière ici.

Et du coup, en parlant de bière, elle est vraiment coupée à l’eau ?

Le coup de la flotte dans la bière, c’est rigolo. J’en ai parlé avec les brasseurs avec qui on bosse, ils sont au courant de la « légende » et ça les fait marrer. Comme si les gars allaient avoir une unité de fabrication normale et une un peu plus coupée à l’eau. Les gens pensent ça parce que certaines bières traînent un peu sur les bar, sont un peu éventées. Et puis il ne faut pas oublier qu’à la base, la bière, c’est quand même fait à base d’eau hein !

rdr2015