Festival International du Film d’Amiens 2019 : à mi parcours

Le 39e Festival International du Film d’Amiens est à mi-chemin, entre son ouverture et sa remise de prix. À force d’assister à des projections, de passer des soirées à discuter de films et de Cinéma, le temps manque pour écrire au jour le jour. Mais tant mieux, il y aura donc davantage de contenu dans cet article. Je ne vais pas vous présenter les films vus dans un ordre chronologique, mais par leurs catégories.

Compétition Long-Métrages Documentaires (sur 6 films)

DELPHINE ET CAROLE, INSOUMUSES

Le documentaire de Callisto Mc Nulty est passionnant surtout pour son sujet autour du féminisme des années 1970. Récit de la rencontre entre Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos, le film montre leurs combats radicaux menés avec la caméra et le montage comme armes. Avec de l’humour, un peu d’insolence et surtout de l’exigence, leur combat est montré avec davantage d’images d’archives. Callisto Mc Nulty se soumet elle aussi aux témoignages face caméra en plans serrés (ce style impersonnel que l’on voit partout dans le cinéma documentaire), mais elle réussit au montage à ce que les images d’archives soient les vecteurs de vérité tout en effectuant une inspection de l’atmosphère de l’époque. Malgré un ton souvent hésitant entre l’humour et l’exploration du militantisme féministe, le documentaire fait la part belle à la parole. Dommage que le montage serve parfois une forme de collection d’archives, et qu’il n’y ait pas tellement de résonance avec l’héritage du féminisme de cette époque.

TALKING ABOUT TREES

L’idée est originale et charmante : un documentaire qui suit le parcours de quatre amis retraités dans leur tentative d’ouvrir une salle de cinéma à l’endroit même où une salle est actuellement abandonnée. Leur objectif est simple, et constitue un rêve pour eux : ramener le Cinéma au Soudan. Entre les questions purement administratives (les documents à envoyer pour avoir des accords, les rendez-vous, etc…), Gasmelbari Suhaib filme l’imaginaire et le rêve de ces quatre amis retraités. Avec des personnalités fortes, ces quatre hommes ne fléchissent jamais sur leur détermination guidée par la passion. Le documentaire explore à la fois l’envie d’image, l’envie de s’exprimer, l’envie de partager. De plus, cette envie d’imaginaire et de divertissement (les quatre amis diffusent LES TEMPS MODERNES de Chaplin, et souhaitent diffuser DJANGO UNCHAINED de Tarantino) montre à quel point ils investissent l’espace. De cette manière, le cinéaste explore une jolie et tendre façon de se ré-approprier un espace collectif, pour le rebâtir ensemble afin d’y partager des rêves. On apprécie également les évocations et questions soulevées sur l’évolution des supports (entre le 35mm et le numérique), la question du temps et de la dépendance (autorisations, rêve cadenacé) et sur l’apport entre les générations – avec une scène merveilleuse où les quatre amis retraités interrogent des jeunes sur leur genre de films favoris.

Compétition Long-Métrages de Fictions (sur 10 films)

KETEKE

Il est clair que le cinéma africain n’a les moyens financiers ni techniques du cinéma occidental. Cependant, l’étalonnage et le mixage son sont des étapes essentielles pour présenter un film abouti. Outre une photographie et une scénographie qu’on ne peut reprocher par rapport aux moyens du film, le film de Sedufia Peter Kofi ressemble terriblement à une mauvaise sitcom qui a des années de retard. Pas toujours drôle et lorgnant sur le risible, cette comédie n’explore pas le couple, déguisant absolument tout par l’humour. Elle n’explore malheureusement pas non plus son idée de course. Le film se compose comme un road trip, mais ce ne sont pas les nouveaux espaces qui permettent de créer la comédie. C’est une comédie de punchlines, où seule l’hérésie finale dans un train crée un relent dans le ton comique. 

SÉJOUR DANS LES MONTS FUCHUN

Le premier long-métrage de Xiaogang Gu a quelque chose de Weerasethakul et de Bi Gan. Son film est une somptueuse et envoûtante fresque, racontant le destin d’une famille au fil de plusieurs saisons. Premier volet d’une trilogie, le film n’a rien d’exceptionnel dans sa narration ou son récit. Parce que sa valeur est ailleurs : Xiaogang Gu dirige un pur film d’images / d’esthétique. Le cinéaste s’inspire clairement des peintures Shanshui pour élaborer son esthétique, où les paysages sont au cœur des images. Du fleuve aux montagnes en passant par les nombreux arbres, le cinéaste décortique et ouvre tranquillement les espaces pour confondre leur évolution avec celle de la famille. Possiblement déroutant, mais définitivement passionnant. Coup de cœur. 

BALLOON

Œuvre très étrange qui apparaît là, où une famille assez isolée (dans l’espace, mais faisant partie d’une communauté) lutte constamment pour survivre. Tseden Pema crée plusieurs conflits au sein de sa mise en scène. La première est de devoir s’approprier la nature et ses paysages gigantesques / dangereux, aussi bien dans le rapport physique que dans le rapport mental. Le deuxième conflit est spirituel, où les règles d’une croyance sont détournées pour explorer une envie et une attitude de libertés. Le troisième conflit est la politique, où les protagonistes doivent faire vivre leur ferme avec peu de moyens. Toutefois, Tseden Pema a trop tendance à faire traîner ses explorations, et son esthétique devient très rapidement redondante et sans véritable nuance.

TU MOURRAS À 20 ANS

Il est important de parler du cinéma soudanais, car il s’agit d’un pays qui en fait beaucoup trop peu. Le film de Alala Amjud Abu est très personnel, provenant de son passé et ses expériences personnelles. Son long-métrage est à la frontière entre la fiction et le documentaire, mais il est bien une fiction car cela lui permet de mêler le réel avec un contrôle sur l’imaginaire. Véritable lettre d’amour et message pour la liberté, le film observe longuement les apprentissages de son jeune protagoniste. Mais surtout, le film est presque un film de fantôme matériel. Le cinéaste interroge la peur et l’inconnu, tout en prospérant l’austérité. Dommage toutefois que la cruauté et l’ambiguïté de la mort ne soient pas davantage mis en scène dans les attitudes du jeune protagoniste. 

Coups de cœur / Avant-Premières

LA VÉRITÉ

Sortie du film le 25 Décembre, la critique du film de Hirokazu Kore-eda sera publiée à cette occasion. Verdict express : Kore-eda ne faiblit pas après sa Palme d’or. Même si le film se révèle plus léger, c’est passionnant de bout en bout sur les questions de vrai/faux, d’image et de famille. 

GLORIA MUNDI

Sortie du film le 27 Novembre, la critique du film de Robert Guédiguian sera publiée à cette occasion. Verdict express : le cinéaste revient avec une fracture sociale plus sombre, plus cruelle, tout en conservant un peu d’espoir dans ses lumières. Tragique et humain à la fois. 

NOTRE-DAME DU NIL

Sortie du film le 5 Février, la critique du film de Atiq Rahimi sera publiée à cette occasion. Verdict express : sous plusieurs tempos et avec beaucoup de bienveillance, le film explore une perte de l’enfance avec la naissance progressive de la violence. Une poésie tragique de la fragilité, dans un huis-clos émancipateur où le cadre ouvre toujours vers de nouveaux imaginaires spatiaux. Coup de cœur. 

Claire Simon invitée

LE VILLAGE

Claire Simon, c’est RÉCRÉATIONS, MIMI, CA BRÛLE, SINON OUI, LES BUREAUX DE DIEU, GARE DU NORD, LE BOIS DONT LES RÊVES SONT FAITS, LE CONCOURS. Autant d’œuvres, entre fictions et documentaires, aussi passionnantes et fascinantes par la fausse banalité des sujets et le regard créé par la cinéaste. Libre et polyvalente, Claire Simon écoute dans le mouvement, explore des intimités et des pensées, du concret jusqu’aux désirs. Elle prend le temps d’observer, en partant toujours d’un seul et même lieu, puis crée au montage une poésie qui convoque le réel et l’imaginaire. Des portraits d’individus à l’intérieur d’un portrait d’un lieu. Claire Simon nous fait vivre l’intérieur humain de ces espaces. 

LE VILLAGE est dans la même méthode de travail et de résultat. Longue œuvre d’environ dix heures, conçue comme un film, mais divisée en dix épisodes. Plaçant sa caméra à Lussas en Ardèche, Claire Simon s’y est intéressée grâce au festival les États Généraux du cinéma documentaire. Entre les projets de diffusion et création du cinéma documentaire, et le quotidien des habitant-e-s du village, la cinéaste met en miroir deux manières d’imaginer, créer et diffuser une passion. Entre les vignes et le cinéma documentaire, le village de Lussas prend ici des proportions qui dépassent sa petite taille. Un village qui se connecte au monde par la passion. 

Carmen à travers le cinéma mondial

CARMEN JONES

Le festival d’Amiens propose, cette année, de parcourir le mythe de Carmen à travers ses nombreuses adaptations dans le cinéma international. Grand fan de STALAG 17 que je suis, je me suis précipité vers ce film d’Otto Preminger. Et quelle désillusion, quelle déception ! Le cinéaste ne fait rien de l’austérité et l’anti-poésie qu’il met en place dans son esthétique. Preminger livre une adaptation de Carmen dans le mélodrame aux raccourcis monstrueux. Fort dommage, car il y avait un regard à poser avec ces personnages inscrits dans cette époque terrible. Rappelons que le film se situe pendant la Seconde Guerre Mondiale aux USA, avec un casting entièrement composé de comédiens et comédiennes noir-e-s. Il y avait une atmosphère, une densité, une tension à capter. Mais c’est un mélodrame total où Carmen déçoit également. 

La suite du programme, au prochain article :

  • Suite et fin de la série LE VILLAGE par Claire Simon ;
  • LA COMMUNION de Jan Komasa ;
  • Suite de la compétition (nous n’aurons pas tout vu) ;
  • La présence de Nicolas Philibert (deux films, une interview) ;
  • Une interview de Atiq Rahimi. 

Voici pour la première moitié du festival. Il en reste encore autant, avec peut-être de nouvelles surprises, de nouvelles déceptions et espérons de nouveaux coups de cœur. À suivre !