Andy Warhol (un)limited

Du 2 Octobre 2015 au 7 Février 2016 se tient une exposition consacrée à l’oeuvre de Andy Warhol, au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. L’exposition est intitulée « Warhol Unlimited » et présente plusieurs œuvres de l’artiste pionnier du Pop Art. Ce mouvement s’est exprimé surtout entre le milieu des années 1950 et jusqu’à la fin des années 1960. Le Pop Art trouve son origine, et donc son nom, dans l’émergence de nouvelles technologies de l’époque et dans les pratiques contemporaines. Il est caractérisé par le grand rôle que les artistes apportent à la société de consommation, où ces mêmes artistes vont y chercher leurs sources d’inspiration. L’objectif était simple : il s’agissait de créer de l’art autour de l’influence de la publicité, de la presse, de la télévision, de la mode, etc… C’est davantage une attitude abordée par l’oeuvre que l’oeuvre en elle-même qui est soulignée. Parmi toutes les techniques utilisées lors de ce mouvement culturel, Andy Warhol fut un adepte de la sérigraphie, de l’art de la répétition.

« Vous allez au musée et ils disent que c’est de l’art et des petits carrés sont accrochés au mur. Mais tout est de l’art et rien n’est de l’art. » (Andy Warhol, Newsweek, 7 Décembre 1964)

C’est à l’occasion de la première présentation intégrale en Europe de l’oeuvre SHADOWS que l’exposition se dévoile. L’idée tourne donc autour du concept de cette œuvre primordiale dans la carrière de l’artiste : Andy Warhol s’est ici inspiré d’un dessin abstrait, pour en créer une œuvre gigantesque. Il la détourne en la transformant, aussi bien dans les formes que dans les couleurs et les dimensions, pour la reproduire de multiples fois. Disposée en fin d’exposition au Musée d’Art Moderne, elle montre comment l’artiste a voulu créer une œuvre qui n’a ni début ni fin, mais surtout qui ne peut être vue en un seul coup d’oeil. Elle s’allonge sur tous les murs d’une grande salle possédant un virage. Ainsi, le spectateur se promène dans l’oeuvre en ayant l’impression de toujours revoir le même tableau. Mais Andy Warhol utilise la sérigraphie comme il l’a toujours fait : tout se ressemble mais tout est différent, provoquant une rythmique spéciale à l’oeuvre. La perception de l’oeuvre et celle de l’espace dans laquelle elle est exposée, sont soumises à une temporalité indéterminée (cela dépend du spectateur). Ce qui différencie cette œuvre des autres, c’est la radicalité qu’a créé Andy Warhol avec cette centaine de tableaux qui efface toute normativité dans sa carrière.

Autour de SHADOWS, l’exposition compte 13 œuvres. Le problème se situe dans la temporalité : en une heure, l’exposition est bouclée. En effet, le nombre réduit d’oeuvres ne permet pas de circuler dans toute la carrière de Andy Warhol. L’avantage est de ne pas se promener dans une chronologie des œuvres, mais bien dans une idée thématique de la carrière de Andy Warhol. La temporalité pose un grand soucis dans la présentation de l’art de Andy Warhol : en si peu d’oeuvres, elles ne se présentent pas elles-mêmes, elles représentent les différentes idées de l’artiste. Même les discours dans le téléguide et ceux accrochés aux murs n’expriment pas des éclaircissements sur les œuvres dans le détail nécessaire, mais rapportent les thèmes et concepts de l’artiste dans leur globalité la plus grossière. Il n’y a rien de vraiment concret, si ce n’est l’expérience que peut avoir le spectateur devant certaines œuvres (les portraits de Mao Zedong, les vidéos, le couloir spécial Velvet Underground, la projection de EMPIRE, les ballons gonflables de SILVER CLOUDS).

Le self-portrait et les CAMPBELL’S SOUP sont fascinantes en soi, mais sont des œuvres qui ont pour but d’exprimer tout une partie de la carrière de Andy Warhol. Les sérigraphies sur Marilyn Monroe manquent à l’appel, par exemple. Dans les Screen Test, il y a une agréable diversité de vidéos et de propositions. Même si, personnellement, je déplore l’absence de SLEEP ou de CHELSEA GIRLS, les screen test des personnes immobiles et le KISS sont tout autant passionnantes à regarder de si près. Le premier gros défaut de l’exposition arrive juste après : là où la surprenante œuvre BIG ELECTRIC CHAIR est séparée et disposée sur l’oeuvre COW WALLPAPER. Le second gros défaut de l’exposition est juste à côté (décidément) : là où le nombre de boîtes de soupes Campbell et les Brillo Soap Pads Box peuvent se compter sur les doigts d’une seule main. Il s’agit ici d’une présentation en surface, de survoler l’oeuvre, de donner une courte idée. Or, pour une œuvre aussi conséquente (comme lorsque que Andy Warhol a disposé ses boites Brillo dans une salle de musée comme une salle de stock), cela ne rend pas du tout justice au travail de l’artiste.

L’oeuvre NINE JACKIES a apparemment demandé plus d’efforts : déjà dans la présentation sur les murs, comme dans le discours mural et dans le téléguide. Oeuvre passionnante, mais qui n’exprime qu’une singularité parmi une série d’oeuvres identiques dans le concept. Viennent ensuite FLOWERS et MAO : dispositions intéressantes, où le spectateur est à nouveau encré et entouré par l’oeuvre (comme avec les SCREEN TEST). La suite de l’exposition se trouve à l’autre bout d’un couloir, dans lequel est présentée une sélection d’éléments caractérisant THE VELVET UNDERGROUND. C’est peut-être l’endroit du musée où j’ai passé le plus de temps. La lecture des critiques de presse était amusante, les photographies étaient admirables, puis les quatre vidéos sont envoûtantes.

L’onirisme n’est pas terminé, parce qu’avant de rejoindre le final avec SHADOWS, les oeuvres SILVER CLOUDS et EMPIRE offrent deux expériences opposées mais tout aussi enivrantes. La première contient des ballons gonflables s’agitant tout autour de soi, amusant et admirable. Tandis que la seconde est dans une salle obscure. EMPIRE, le film de huit heures en plan fixe sur l’Empire State Building, est proposé en réelle expérience de cinéma : banquettes et écran déroulé devant soi. J’ai pu constater que quelques non initiés à l’oeuvre partent très rapidement de la salle obscure (au point d’entendre : « je le regarderai sur Youtube »). Pour conclure, l’exposition de Andy Warhol apporte beaucoup de nostalgie, de la fascination pour des œuvres précises, des expériences uniques en immersion ; mais n’est pas assez fournie pour prétendre présenter la carrière de Andy Warhol. Tels des chapitres non développés, des verres à moitié plein, un plaisir à moitié éprouvé.

3 / 5