When I saw you

Festival du Film d’Amiens 2013

1967. Des milliers de Palestiniens se réunissent afin de tenter de franchir la frontière qui les sépare de la Jordanie. Après avoir été séparé de son père au milieu du chaos de la guerre, Tarek, un jeune garçon curieux et sa mère ont placés dans un camp « temporaire », où certaines personnes de la génération précédente de réfugiés arrivée en 1948, attendent toujours. Mais Tarek, qui aimerait pouvoir rentrer chez lui et revoir son père, décide de quitter le camp. Il finit par atterrir dans un repaire de rebelles.

Dès le premier plan, on peut remarquer la virtuosité de Annemarie Jacir. Un jeune garçon sur des patins à roulettes, et la caméra se fixe sur les patins, et avance en même temps. Et soudain, la caméra s’arrête et monte vite. On arrive sur le jeune garçon qui se fait tabasser par d’autres jeunes garçons. Suivra la présentation du jeune garçon et de sa mère. Dès le début, la réalisatrice palestinienne nous montre un personnage principal mal intégré, qui souffre et qui vit dans la pauvreté.

Tout est placé, il n’y a plus qu’à dérouler l’intrigue. Souvenez-vous, en 2013, des brillants Enfance Clandestine (Benjamin Avila), Wadjda (Haiffa Al Mansour) et Lore (Cate Shortland). Le traitement est le même : un jeune personnage en pleine initiation, à travers une quête personnelle, dans le contexte d’un conflit socio-politique. Ici, Annemarie Jacir nous positionne en 1967, dans une guerre entre la Palestine et la Jordanie. Mais comme dans les trois films cités précédemment, le contexte n’est que dans les esprits. Car il ne sera pas touché, il sert d’obstacle psychologique aux personnages.

Dans la première partie, où Tarek est encore dans le camp de réfugiés, il y a une certaine noirceur dans l’ambiance. Pas encore vraiment de tension, mais tout est fait pour mettre le spectateur mal à l’aise. La frontalité sur la pauvreté est nette, et l’avancement est direct. J’entends ici qu’il n’y a aucune retenue dans les dialogues et dans les attitudes. Une première partie qui se démarque comme un drame noir, mais surtout comme un drame familial. Cette partie sert avant tout d’exposition.

Enfin, il y a la fuite du jeune Tarek. A partir de là, Annemarie Jacir relâche la noirceur de son ambiance. Mais elle décide d’ajouter de la tension. Ce qui est agréable dans le rythme de ce film, c’est – que ça soit au montage ou dans le scénario – qu’il y a cette oscillation de sensations. Dans une scène, la réalisatrice mettra le spectateur à l’aise (comme des scènes musicales autour du feu), et dans la suivante elle créera une forte tension. Ainsi, la réalisatrice fera autant preuve de tendresse envers ses personnages, que de cruauté.

Dans ces moments de tendresse, Annemarie Jacir sera être modeste avec sa caméra. Des personnages proches, des plans larges aux plans moyens (fusion des corps avec le paysage) et même des plans assez longs. De plus, la plupart de ces scènes reposée se jouent surtout sur les dialogues. Concernant les moments de tension, les gros plans et les plans rapprochés sont requis (retour à l’état sauvage, le paysage devant obstacle). Il y a également cette manière de faire des plans courts, pour un montage rapide. Tout se passe ici par les attitudes des acteurs. Ainsi, la mise en scène de Annemarie Jacir fait coup double.

Il ne faut pas oublier que le personnage principal est un enfant. Alors évidemment, toute l’histoire est racontée de son point de vue. A partir de cela, la réalisatrice pendra du recul sur le contexte socio-politique. De l’innocence, de l’ironisme, une touche d’humour, une communion entre rebelles. Ceci lui permet de mettre à nu les contradictions du monde dans lequel vivent les personnages. On pourra même dire que la réalisatrice ajoute une part d’épique dans son film. Elle n’hésitera pas, par exemple, à intégrer à sa photographie toujours les mêmes couleurs chaudes. En effet, le jeune garçon est dans une sorte d’aventure, de son point de vue.

C’est là que l’initiation se dote d’un autre sujet, encore plus attachant. Outre le côté aventure et satire du contexte socio-politique, il y a une séparation familiale. Une famille décomposée, où le jeune garçon se sent étouffé par sa mère (voir les gros plans ou les plans rapprochés à chaque fois qu’il le dit). En ayant marre, il fuit et rencontre ces rebelles. Pratiquement que des hommes (il y a une femme), avec qui il se liera d’amitié. C’est en vivant constamment avec eux qu’on le voit grandir. Il veut devenir militaire, et ainsi devenir un homme. Mais surtout, il obtient une affection masculine qui lui manquait tant. Avec ces hommes rebelles, il obtient enfin le rôle paternel qu’il recherchait.

4 / 5
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