The Sense of an Ending

Le sens de quelque chose qui se termine, métaphore parfaite sur le vieillissement, mais surtout de ces moments où l’excitation et le défoulement de la jeunesse ont laissé place à la quiétude, la paisibilité. A l’instar de THE LUNCHBOX par le même Ritesh Brata, une lettre est le moteur de l’exploration du cinéaste. A travers de nombreux chemins tracés, qui sont autant de questionnements pour le protagoniste, THE SENSE OF AN ENDING se permet de ré-écrire une histoire. Grâce au passé qui a besoin d’un nouveau regard, le film prend une tournure métaphysique et philosophique. Le film passe son temps à raconter que le seul élément réellement connu, est que quelque chose s’est passé dans une période temporelle bien précise. Le film passe alors son temps à reconstruire son personnage principal, le détricoter pour mieux le solidifier. Le Tony Webster âgé ne semble être que l’ombre de lui-même, dans cette quiétude. Ainsi, Ritesh Brata explore son passé pour y trouver plusieurs points de vue : les personnages secondaires sont si importants, qu’ils sont les fer de lance de la reconstruction du protagoniste. Le film s’étoffe à la manière d’un exemple : la nuance entre claquer la porte au nez du livreur, puis plus tard lui proposer une tasse de café.

Ritesh Brata déconstruit toute la narration de son protagoniste, en trois nuances. Le film ne cesse d’explorer comment la répétition peut lier le passé au présent, tout en essayant de verrouiller le premier pour avoir enfin la conscience tranquille dans le second. En ré-écrivant l’histoire de son protagoniste, le film dit que les pistes sont brouillés et que seuls les témoins de cette histoire peuvent la ré-ouvrir. Ainsi, en entrant profondément dans l’intime et le détail des personnages, THE SENSE OF AN ENDING est une fable romanesque qui va chercher les sensations les plus féroces pour devenir une émotion touchante. Le coup de maître de Ritesh Brata est de considérer l’histoire de son protagoniste comme une épopée qui ne connaît jamais de fin. Il y aura toujours le point A (il y en a même plusieurs, avec autant de récits liés à plusieurs personnages secondaires) mais le point B est trop flou. Ce point B est justement ce présent où Tony Webster est un homme âgé.

THE SENSE OF AN ENDING explore la vie tel un égarement existentiel. Donc rien de mieux que de construire sa mise en scène par le montage. Le vertige dont fait preuve le film est alimenté par l’abondance des sensations et des émotions. Sauf que celles-ci n’aboutissent jamais à du concret. Dans le passé exploré du protagoniste, les séquences sont furtives et les attentes permanentes. A la manière d’un Desplechin tel que COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ… (MA VIE SEXUELLE), l’amour est un gouffre qui aspire tout sur son passage. L’idéal en prend un grand coup, lentement, mais qui se déconstruit en même temps qu’il s’imagine.

Par humour et nostalgie, aussi, le film de Ritesh Brata apporte deux autres nuances à sa déconstruction narrative. Cependant, ces deux nuances sont les résultats de la répétition. Le cinéaste crée ainsi un labyrinthe aussi abstrait que mental. Parce qu’il travaille sur le changement d’espace et sur le changement temporel, THE SENSE OF AN ENDING apporte tout le mystère nécessaire à l’identité du protagoniste. Même le temps passe et les espaces ont changé, les instants succombent dans l’imaginaire idéal. Mais surtout, le film raconte que si les amours meurent et s’éteignent, il y a encore les souvenirs qui nous brisent et nous épuisent. Comme si la part romantique et romanesque des souvenirs estompe les blessures du passé, mais n’efface pas les émotions éternelles. Bien qu’imparfait dans son rythme, le film tente de panser l’absence du présent par le labyrinthe mémoriel.

A la recherche d’un soi perdu, THE SENSE OF AN ENDING met en lumière l’idéal et, dans une opposition, le mouvement de l’audace et le mouvement du regret. Tel un seul langage, grâce à son montage nuancé entre l’espace et le temps, le film ne fait qu’extrapoler le désir. Comme cette fabuleuse scène où le Tony âgé (formidable Jim Broadbent) retrouve la Veronica âgée (toujours impeccable Charlotte Rampling) sur un pont : dans un champ / contre-champ, tout est flou, sauf les deux personnages. Comme si le cadre essaie d’assembler deux éléments (le présent et l’idéal) mais que cela s’avère compliqué. Tout au long du film, le cadre se donne la peine de centrer ses personnages importants pour une scène donnée. Ainsi, le film crée un focus sur l’absence, tout en arrangeant un environnement ambiant de désir. THE SENSE OF AN ENDING est une sorte de catharsis du désir, par le langage de l’absence. THE SENSE OF AN ENDING est un bijou humain et existentiel.

THE SENSE OF AN ENDING de Ritesh Brata
Avec Jim Broadbent, Charlotte Rampling, Billy Howie, Freya Mavor, Harriet Walter, Michelle Dockery, Emily Mortimer, Joe Alwyn, Peter Wight, Hilton McRae, Jack Loxton, Timothy Innes, James Wilby, Edward Holcroft, Matthew Goode
Royaume-Uni
1h45
11 Avril 2018 (FR)

4 / 5