Teddy, de Ludovic Boukherma & Zoran Boukherma

À l’instar d’autres films sortis dans les dernières années, Ludovic & Zoran Boukherma font le pari de marier l’horreur et la comédie, de faire un mélange entre l’effroi du fantastique et l’effroi de l’âge adolescent. Dans ce postulat, le duo de cinéastes délocalise alors le genre dans la province. TEDDY se déroule dans un petit village des Pyrénées, dont l’ambiance est donnée dès le début. Une scène de commémoration avec peu d’habitants donne lieu à une performance assez comique sur La Marseillaise. À l’écart des gens qui écoutent et observent attentivement la cérémonie, le jeune Teddy s’amuse de la situation. Durant cet été, le protagoniste a un seul objectif : construire une vie avec sa petite-amie Rebecca, en s’échappant quelque peu de la vie locale dont il se moque. Il prévoit même la construction d’une maison dans la plaine, et passe l’été à vouloir persuader Rebecca de rester auprès de lui (alors qu’elle veut partir étudier à l’université). Sauf que TEDDY semble simplement répondre à un label dans le cinéma français depuis GRAVE de Julia Ducournau. Celui de revitaliser un cinéma de genre français en mariant horreur et comédie, avec un soupçon de drame social. Alors les cinéastes délocalisent l’horreur dans la province, pour aller chercher le mystère dans un paysage trop méconnu au cinéma.

Il y a alors deux formes dans ce long-métrage. La première est celle d’une comédie burlesque. Toute situation créée dans ce village est voué à devenir un aspect comique. C’est un loufoque plutôt sympathique parce qu’il ne dénature jamais les personnages, il fait ressortir toute une passion de ceux-ci pour tout ce qu’ils entreprennent. Ce sont des êtres qui sont dans le premier degré, mais dont l’image renvoyée montre une limite. Toutefois, ce portrait est très exagéré. Ce n’est pas comme si chaque attitude donnait lieu au burlesque, voire au grotesque. Il semblerait que cela est ancré dans chaque personnage. Comme si les personnages sont drôles malgré eux. Dans ce terroir à l’image burlesque, chaque personnage n’a rien d’autre à offrir que le ridicule / le loufoque. Pourtant la dimension comique est assez raffinée, dans sa manière de ne pas jaillir soudainement et de n’être qu’un mouvement qui s’incruste dans une partie du cadre. Mais voilà, TEDDY a la fâcheuse tendance à éviter les situations dramatiques autour de chaque personnage, surtout celles autour du jeune protagoniste. Les deux cinéastes esquivent en permanence le contexte dramatique qui se cache derrière le burlesque, celui qui les pousse à intégrer l’horreur ensuite. Comme si le film reste coincé dans le loufoque, sans vouloir traiter de la peur rationnelle des personnages, fantasmant le paysage provincial comme un cadre grand-guignolesque.

Ceci est la conséquence de la recherche intempestive d’un décalage. Ludovic et Zoran Boukherma créent un village replié sur lui-même, qui ne fonctionne que par le caractère loufoque de ses personnages. Ainsi, ce sont des corps qui se meuvent dans un paysage en manque de relief. Comme si chacun est bloqué dans ce cadre où la verdure s’étend, où la nuit cache l’horizon, où la plaine en contre-bas est synonyme de danger, etc. Il y a toujours deux mouvements qui se passent dans un même cadre. Un loufoque qui est visible, et un dramatique qui reste dans le hors-champ. Même si cette idée de mise en scène est intéressante, elle provoque uniquement la comédie. À force de refuser de voir le hors-champ et le dramatique, ce décalage ne profite jamais au mystère lié au fantastique. Donc, à force de ne pas vouloir tout mettre en scène, le film se retrouve à rendre ses personnages uniquement perturbants, et beaucoup trop rarement perturbés. Malgré la capacité à créer des ruptures de ton, que ce soit entre les genres ou dans le rythme (avec quelques élans d’affolement), la mise en scène des cinéastes manque de mordant en n’arrivant pas à franchir la timide barrière de l’irruption mystérieuse.

Pourtant, il y a véritablement une grande affection pour le cinéma de genre. Le long-métrage ne cesse d’employer des références de l’horreur et du fantastique, pour faire monter la sauce progressivement. Quand bien même la métaphore du loup-garou comme étant le corps changeant d’un adolescent est très lourde (et finalement très peu subtil pour un cinéma de genre français qui cherche à renaître), la tension devient de plus en plus soutenue. C’est parce que les deux cinéastes savent exactement ce qu’ils veulent, et montrent un très beau sens du cadre. Leurs plans fixes sont à la fois la traduction d’une curiosité et d’une bizarrerie silencieuse. Malgré ce bon sens du cadre, qui laisse le temps au spectateur d’imaginer (que ce soit vis-à-vis du fantastique, ou vis-à-vis des personnages et leur contexte), l’esthétique s’arrête nette au stade des références et du décalage. Parce que le duo de cinéastes se refusent de mettre en scène la dramaturgie, le film ne montre que des codes du genre bien appris et simplement maîtrisés. TEDDY n’arrive jamais, et ne cherche jamais, à entrer pleinement dans le fantastique. Tout se fait par la suggestion et l’ellipse, ou alors par petits morceaux (comme ces inserts sur le corps changeant de Teddy, parsemés ici et là dans le récit). Les codes sont tellement recrachés naïvement et sans profondeur nette, que même le tant convoité loup-garou de l’histoire n’est qu’une apparition également. Il suffit de voir cette scène où le protagoniste se fait mordre par le loup qui erre dans la région : en pleine nuit, le cadre s’arrête à l’entrée des buissons, attendant qu’un seul cri du protagoniste ne représente l’entière situation de basculement… C’est plutôt réussi dans le burlesque, mais il est dommage de voir un film de genre qui se refuse de filmer le genre. Un comble.


TEDDY ; Écrit et Réalisé par Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma ; Avec Anthony Bajon, Christine Gautier, Ludovic Torrent, Guillaume Mattera, Noémie Lvovsky, Jean-Michel Ricart, Alain Boitel ; France ; 1h28 ; Distribué par The Jokers ; Sortie le 30 Juin 2021