Minari, de Lee Isaac Chung

Le film se lance sur une route, où une famille suit le chemin que prend un camion. Sur une musique douce dominée par les touches de piano, le cadre révèle l’arrivée d’une famille coréenne dans un champ très verdoyant. Dans cet espace, se trouve une maison, celle que ces personnages va habiter à l’avenir. MINARI, qui tient son titre d’une herbe facile à cultiver utilisée dans la cuisine coréenne, commence une étreinte. On ne sait jamais ce que la famille laisse derrière, ce qu’ils abandonnent (ou fuient), pour se concentrer uniquement ce qu’ils désirent, ce qu’ils cherchent. Une ambiguïté qui s’applique également à l’époque. Il faut attendre une bonne vingtaine de minutes pour savoir qu’il s’agit des années 1980, juste en évoquant le nom de l’ancien président Ronald Reagan. Sans cela, le long-métrage cherche un côté intemporel, avec des situations et des sensibilités qui peuvent se conjuguer à un autre temps (dont le présent). Lee Isaac Chung, qui a voulu prendre le temps (en tournant d’autres films) pour parvenir à réaliser celui-ci, traite de nombreux thèmes. Dont celui de la migration, des discriminations, de l’écart entre les cultures, de la famille, de l’écologie. Sauf qu’il ne cherche pas à les questionner, ni à les étudier, ni à les comprendre. Au contraire, les thèmes sont juste là, implantés dans le décor sans que cela ne soit un choix ou une quête. Ils sont juste là, et font partie de la construction du rêve américain cherché par la famille. Ce rêve qui n’est en réalité qu’une aventure intime, où la famille est au centre de tout.

MINARI fonctionne comme une chronique, qui suit le quotidien de la famille Yi, dès son installation dans cette maison dans le pré, sans chercher un objectif final. Et pourtant, malgré tous les thèmes qui parcourent le portrait de cette famille, il y a bien une certaine fantaisie qui se déploie. Déjà par le personnage de la grand-mère maternelle, qui ne se définit pas comme « une vraie grand-mère », et qui est clairement la source de toutes les touches comiques. Chaque personnage, hormis peut-être la fille aînée, a le droit à son arc narratif mais seulement en filigrane. Ils ont tous un rôle précis à jouer dans la construction du rêve américain, au point que le long-métrage peut se voir comme la résurgence des souvenirs. Tel un film autobiographique, la proposition de Lee Isaac Chung s’articule comme la projection enjouée d’une mémoire. C’est donc avec logique que les notes au piano prennent autant de place dans le son, tant la chronique est douce comme un poème qui se murmure aux oreilles. Chaque séquence ressemble à un apaisement raconté et montré avec enthousiasme. Une sensation de légèreté qui écarte toute gravité, à l’exception d’une séquence déchirante, où même la société américaine (à laquelle la famille Yi essaie de s’assimiler) est plutôt vue comme un folklore. Il suffit de voir comment le personnage aidant à l’implantation du jardin a un côté clownesque lorsqu’il se met à parler de sa croyance religieuse. Jamais méchant, bien au contraire, seulement que la famille Yi est dans un isolement face à quelque chose qu’ils ne connaissent pas.

Cette construction du rêve américain passe alors par l’espoir de l’union familiale, par la croyance en l’espace, par la persévérance du travail, par la bienveillance avec les personnages américains qu’ils côtoient. Interroger tout cela revient à s’accrocher à l’imaginaire. Parce qu’il y a une réelle frontière entre l’intégration et l’indépendance de la famille Yi. Ce n’est donc pas innocent si le film se concentre principalement sur des moments au cœur de la famille. C’est parce que puiser dans la mémoire est une manière de s’accrocher à une identité, à un rêve. Malgré l’apaisement dont font preuve le cadre et la bande musicale, le paysage montre constamment une distance entre cette famille et la société dans laquelle ils sont arrivés. Un long-métrage plein de douceur et de positivité, qui s’appuie sur une grande complexité. Celle où la frontière entre intégration et indépendance et une frontière entre vérité et contradiction dans les comportements des personnages. Même si l’espoir et la douceur règnent, chaque personnage a sa propre perception de tout ce qui se construit. Si le film est aussi intemporel et juste, c’est parce qu’il ne cherche pas à mettre des étiquettes sur les personnages, ils sont seulement les différentes couleurs et nuances d’un portrait. Cela ne fait jamais de MINARI une simple contemplation de la mémoire. Le film se rend accessible à chaque instant, où la chaleur du paysage et la douceur des personnages créent cette narration fluide, où toute problématique portée devant la famille Yi semble devenir une anecdote.

C’est toute la force du film : la mise en scène croit fortement en ses personnages, et continue de leur tracer un chemin malgré les difficultés. Lee Isaac Chung garde l’émerveillement au centre de son portrait, en permanence. Dans une dynamique constituée de légères ruptures de tons (entre le drame, le mélodrame, la fantaisie comique, la simple poésie de l’aventure), le cadre embrasse le paysage qui s’offre aux personnages. Alors que l’apaisement serait synonyme d’une force tranquille, la rigueur des souvenirs est le déploiement avec confiance d’un rêve qui ne finit jamais. Comme la construction de la ferme qui est un travail quotidien, le rêve est quelque chose qui doit être préservé à chaque instant. Ainsi, les plans larges sur les espaces sont la croyance perpétuelle en l’émerveillement. Sans jamais plonger dans la niaiserie ou l’extase facile, le cadre regarde la verdure comme source de vie, adopte des focales comme moteur d’une liberté pour les personnages. Eux-mêmes qui travaillent l’espace, le transforment, y trouvent la force vitale pour continuer à traverser la route du rêve américain. Cette connexion émerveillée à la nature est une manière de conserver l’étreinte du début, celle de l’enivrement qui peut amener à une transmission envers les enfants. Dans ce poème familial solaire, la frontière entre l’intégration et l’indépendance est une façon de réapprendre à regarder le paysage pour ce qu’il est : ce qui tient les êtres en vie, ce qui tient les rêves en vie.


MINARI ; Écrit et Réalisé par Lee Isaac Chung ; Avec Steven Yeun, Yeri Han, Alan S. Kim, Noel Cho, Darryl Cox, Esther Moon, Ben Hall, Eric Starkey, Will Patton, Yuh-Jong Youn ; États-Unis ; 1h55 ; Distribué par ARP Selection ; Sortie le 23 Juin 2021