Marie et les naufragés

Scénario et Réalisation de Sébastien Betbeder
Avec Pierre Rochefort, Vimala Pons, Eric Cantona, Damien Chapelle, André Wilms, Emmanuelle Riva, Wim Willaert
France
105 minutes
Sortie le 13 Avril 2016

« Marie est dangereuse » , a prévenu Antoine. Ce qui n’a pas empêché Siméon de tout lâcher, ou plus exactement pas grand-chose, pour la suivre en secret. Oscar, son colocataire somnambule et musicien, et Antoine, le romancier en mal d’inspiration, lui ont vite emboîté le pas. Les voilà au bout de la Terre, c’est-à-dire sur une île. Il est possible que ces quatre là soient liés par quelque chose qui les dépasse. Peut-être simplement le goût de l’aventure. Ou l’envie de mettre du romanesque dans leur vie… Parce qu’il y a du romanesque partout dans ce film, davantage que dans 2 AUTOMNES 3 HIVERS mais autant que dans LES NUITS AVEC THEODORE. C’est ce qui fait la force du film : réussir à picorer dans les deux longs-métrages précédents du cinéaste, pour déjà montrer toutes les intentions de celui-ci.

Un peu comme l’avait fait Terrence Malick avec BADLANDS, qui possédait déjà toutes les caractéristiques du style du cinéaste alors qu’il s’agit de son premier film. Ici il s’agit d’un second long-métrage, mais quand bien même, il contient beaucoup d’éléments. Certes pas tous aboutis, mais disséminés parmi tous les protagonistes : cela permet de créer des ruptures de tons et d’explorer quelques genres différents. Le romanesque et l’aventure vont s’immiscer dans la romance, dans la comédie et dans une sorte de tragédie épurée. Celle-ci provient surtout à quelques instants, rares mais évidents : notamment avec les caméos des excellents Wim Willaert et Emmanuelle Riva, par exemples.

Quand on regarde MARIE ET LES NAUFRAGES, il est clair qu’il s’agit surtout d’une œuvre de mise en scène plutôt qu’une œuvre qui explore la technique. Dommage, car il y avait de quoi faire en reprenant certaines idées formelles de 2 AUTOMNES 3 HIVERS, notamment dans sa déconstruction d’un schéma narratif pré-établi. Ici, c’est la mise en scène qui fera tout le travail, avec une caméra métamorphosée en témoin amical des personnages. Elle sert à les accompagner dans leur aventure romanesque, comme avec LES NUITS AVEC THEODORE, mais en créant cette fois-ci des chemins supplémentaires (grâce aux différents leitmotivs des protagonistes).

Vimala Pons en tête parce qu’elle est le personnage qui rassemble tous les autres, un peu comme le tronc d’arbre où Pierre Rochefort, Eric Cantona, André Wilms et Damien Chapelle seraient les branches. Elle n’est plus le clown de LA FILLE DE LA 14 JUILLET, ni la mystérieuse pupille de COMME UN AVION. Elle est davantage mélancolique et moins spontanée, qui a toujours un coup d’avance malgré la distance qu’elle prend. C’est un peu ce personnage dans l’horizon, paraissant constamment inaccessible, tel un fantôme qui prendrait corps. Elle s’illumine dès que les sentiments éclatent, portant avec elle la grâce de la comédie romantique qui n’est qu’un jeu de piste, un jeu de chat et de souris.

A ses côtés pour la romance, un Pierre Rochefort bien fade. Obsédé par la figure de Vimala Pons, comme Grégoire Tachnakian dans LA FILLE DU 14 JUILLET, mais dont on connait moins d’informations. Et il y a clairement l’envie de ne jamais les donner, de ne jamais construire ce personnage paraissant ô combien transformé par le genre de la comédie romantique. Enfermé dans cette bulle de l’obsession pour la demoiselle, il ne prétend jamais se soucier de son environnement. Les espaces qu’il traverse sont des labyrinthes, des culs-de-sac où il doit errer afin de parvenir à son bonheur : le corps à corps avec Vimala Pons. C’est l’éternel amoureux entêté, celui qui nous énerve tous dans les soirées car il cherche pendant trois heures comment aborder une demoiselle. Sauf que Pierre Rochefort ne sait pas vraiment jouer, et que ses émotions stagnent.

Il y a même beaucoup moins de creux et de frivolité dans l’enrobage du personnage d’Eric Cantona. Ce personnage torturé et qui vit dans un imaginaire que lui seul peut comprendre. Avec Damien Chapelle, ils sont les deux piliers comiques du long-métrage. Eric Cantona prouve ici qu’il a un côté Vincent Macaigne : à la fois l’ours en peluche que l’on câline car il est triste, mais aussi le grizzly qui peut attaquer à tout moment avec une grande violence. La silhouette d’Eric Cantona fait son personnage : ses postures sont déjà la source du doute entre la tendresse et la violence. Quand il est dans le champ, c’est comme la ligne qui se déchaîne dans l’oscilloscope.

A côté de ce dérèglement ambiguë, pour ajuster la comédie à une pointe de surréalisme, il y a les personnages délicieux des magnifiques Damien Chapelle et André Wilms. Le premier est un jeune homme meurtri, qui angoisse à l’idée de l’inconnu, ce qui le rend plus touchant dans ses soucis de santé. C’est un personnage qui a deux facettes, celle où il est conscient et va participer à la situation du trio amoureux, mais également celle où il est inconscient mais ne participe qu’à la volonté du film d’être comique (donc des instants en marge de l’intrigue principale). C’est ce qui se déroule également avec le personnage d’André Wilms. Il est certes très drôle, mais il n’a pas d’impact conséquent sur l’intrigue romantique. Sauf que ces petits écarts sont largement les bienvenus, tellement l’intrigue romantique s’essouffle rapidement.

Même si le film est très sympathique, grâce aux relations fantasmées entre les personnages, il n’est tout de même qu’une fausse ballade joyeuse. Bien trop resté en surface, il n’arrive pas à développer davantage les idées de LES NUITS AVEC THEODORE et de 2 AUTOMNES 3 HIVERS. L’esthétique est pourtant là : la photographie de Sylvain Verdet crée à la fois l’espoir et l’illusion de l’amour, tout en placant la comédie dans un imaginaire surréaliste. D’où le choix de cette île, parce que les paysages sont la justification de cette photographie : il s’agit d’une invitation au voyage spatial dans le fantasme des relations (le trio amoureux). Là où 2 AUTOMNES 3 HIVERS était un voyage temporel dans l’amour, MARIE ET LES NAUFRAGÉS l’approche via les espaces. Puis, il y a la musique de Sébastien Tellier, aussi bien psychédélique que la projection des sensations des personnages.

3.5 / 5