Pourquoi le Joker de Jared Leto n’est pas parvenu à faire oublier le Joker de Heath Ledger ?

Les films de super-héros peuvent offrir de grands moments de cinéma. Comme ils peuvent nous donner de véritables fours, The Green Hornet et le dernier Batman V Superman en sont les tristes illustrations. Je serais hypocrite de dire que j’ai adoré Suicide Squad. Je suis cependant assez honnête pour admettre que malgré la présence de la sexy Margot Robbie, parfaite dans le rôle de la dérangée Harley Quinn et de Will Smith, qui a quelque part réussi à faire oublier son horrible After Earth en offrant une performance de super-vilain sarcastique similaire à son rôle dans Hancock en 2008, Suicide Squad était un fouillis rocambolesque et étrange où le casting 5 étoiles n’a pas suffi à donner un film mémorable.

Le film est un divertissement moyen, un brouillon mal fini relativement dû au manque de présence scandaleux du Joker, pourtant campé par un Jared Leto intrigant et fantasque. Le même Jared Leto qui a pourtant brillé dans Dallas Buyers Club, ce drame où son interprétation d’une junkie transgenre lui a valu en 2014 l’Oscar du Meilleur Acteur dans un Second Rôle, ne brille pas sauf par son absence.

Un des fervents adeptes du method acting, ce procédé extrême d’interprétation ayant offert à Daniel Day-Lewis la carrière épique qu’on lui connaît (regardez My Left Foot, Lincoln et There Will Be Blood et vous comprendrez pourquoi il est le seul acteur à avoir gagné 3 Oscars !), à Hilary Swank de gagner le premier de ses deux Oscars à 25 ans pour Boys Don’t Cry en 2000 (pour sa préparation, Swank avait vécu comme un garçon pendant 1 mois) et à Christian Bale de perdre 28 kilos pour le drame The Machinist en 2003, Leto avait déjà utilisé ce style particulier pour interpréter l’assassin de John Lennon dans Chapitre 27 et pour interpréter Rayon dans Dallas Buyers Club. Pour Suicide Squad, le leader de 30 Seconds To Mars n’a pas ménagé ses efforts pour entrer dans la peau du psychopathe vêtu de violet : prise de muscle intensive, faux tatouages, teinture en vert, envoi d’animaux morts à ses co-stars entre autres. Et tout cela pour 20 minutes à l’écran ? Give me a FUCKING break !

Dans The Dark Knight, le regretté Heath Ledger a occupé l’écran, l’a pris et l’a crevé. Chacune des scènes où le Joker apparaissait était culte et splendidement jouée. Ce n’était pas Ledger que l’on voyait. Ce n’était pas un acteur seulement déguisé pour jouer un rôle. Ce que l’on voyait, c’était un monstre. Un criminel. Un véritable malade débordant de charisme et répugnant de malice à souhait. Ledger a pris le rôle de l’infâme clown et en a fait un des antagonistes les plus diaboliques du 7ème Art, apparaissant dans la liste des 50 pires antagonistes du cinéma, établie par l’American Film Institute aux côtés de l’infirmière Ratched (Vol Au Dessus D’un Nid de Coucous, 1975), Annie Wilkes (Misery, 1990 : inoubliable Kathy Bates) et Hannibal Lecter (Le Silence Des Agneaux, 1991.).

La performance de Ledger, qui fut malheureusement sa dernière suite à son décès en 2008, lui a valu un Oscar, mais aussi de rentrer dans la légende. Et c’est malheureusement avec une telle responsabilité que le Joker de Leto partait handicapé dès le départ. La mission était d’atteindre un niveau d’excellence. Mais ce n’est pas entièrement la faute de l’acteur, soyons bien d’accord. Mettre un des super-méchants les plus populaires du monde dans un film d’ensemble comme Suicide Squad n’a pas permis à Leto, un des meilleurs méthodistes du moment, de faire sentir l’aura du Joker tout au long du film. Autant le dire immédiatement, le clown ne dégage que dalle.

Il y’a déjà eu des cas dans l’histoire du cinéma où un des protagonistes d’une histoire apparaissait brièvement à l’écran où très tard dans l’histoire pour disposer d’un arc limité : parmi les exemples les plus célèbres, on cite Sir Anthony Hopkins, qui n’a bénéficié que de 20 minutes dans le cheminement du Silence Des Agneaux, étonnant de la part du principal antagoniste. Cependant, les 20 minutes glaçantes d’Hopkins lui ont permis de gagner un Oscar et de graver son nom dans la roche. Un autre exemple s’est vu dans Shakespeare In Love ou la légendaire dame Judi Dench a bouleversé le film en seulement 8 minutes de présence, ce qui lui a permis d’empocher le seul Oscar de son illustre carrière. Ceci s’est vu également dans Fargo, le mythique thriller comique des frères Coen où Frances McDormand, dans le rôle de la flic enceinte Marge Gunderson, apparaît 30 minutes après le début. Pourtant, cela n’a pas empêché le personnage de McDormand de devenir une héroïne iconique et à McDormand de remporter un Oscar. L’exemple le plus récent a été remarqué en 2014 dans le superbe Gone Girl de David Fincher où Amy, l’épouse terrifiante et vengeresse campée brillamment par Rosamund Pike, est définie comme l’antagoniste de l’histoire au bout d’une heure de film où elle se contenta au début d’apparaître dans des flashbacks jusqu’à prendre sa dimension de personnage féminin principal. Une recette payante qui a permis à Pike de remporter une nomination aux Oscars et d’inscrire Amy Elliott-Dunne comme un des personnages féminins les plus intrigants de l’histoire du cinéma, selon le Dr. Candice DeLong, ancien profiler du FBI.

Avec de tels exemples, le rôle de Leto aurait pu facilement être établi comme un vilain en puissance dans toute l’étendue de sa vilénie. Avec Leto pour revêtir le costume de cet horrible sociopathe, son Joker avait de quoi offrir des moments d’horreur et d’excitation, comme Heath Ledger et Jack Nicholson avant lui. Et les bandes-annonces du film avant sa sortie laissaient présager un accomplissement de ces attentes. Mais ce ne fut pas le cas. Cela aurait pu sauver le film, mais ce fut raté. Un gâchis. Un acte manqué.