Été 85, de François Ozon

Voilà un film qui sort au bon moment : un récit d’adolescents et d’amour pendant un été, sortant en salles durant un été. Telle une parenthèse, ÉTÉ 85 se plonge directement dans le romanesque et les fantasmes affectifs de l’été. Un tonnerre qui gronde, des chemises qui s’ouvrent, des flammes qui brûlent, des élans à vélo ou moto, des rencontres sur une esplanade : toutes les images y sont pour faire battre le cœur vibrant de l’été. Celui qui emmène les personnages loin de leurs préoccupations quotidiennes, pour voguer vers la tendresse et la poésie de l’expérience unique. François Ozon célèbre l’amour, explore la fragilité et l’incertitude face à la mort. Mais toujours dans un crépitement : alors que le film se déroule dans la superbe ville balnéaire Le Tréport, le cinéaste ne capte presque aucun soufflement de vent. Il va même jusqu’à créer un miroir entre l’époque du récit et l’esthétique de la ville. Film d’époque oblige, surtout se déroulant en 1985 et en plein été, les costumes sont chatoyants et très colorés. Tout comme la ville du Tréport est capté pour l’une de ses particularités : la pluralité des couleurs sur les façades et dans les intérieurs. Comme si François Ozon capte des émotions et des sensations qui appartiennent incontestablement à ces espaces.

Ce qui donne à plusieurs reprises un côté très aérien, comme si les personnages se mettent à flâner et à vagabonder, pour continuer à jubiler de sentiments et de désirs comme des pulsions. Un voyage intime assez désinvolte, qui n’hésite pas à ouvrir son cadre pour montrer des personnages qui agissent de plus en plus spontanément, sans réfléchir, se laissant aller aux possibilités des espaces qu’ils traversent. Une manière d’échapper à ses peurs, mais surtout de caractériser une sensation de vulnérabilité et parfois d’effroi face au déséquilibre. Il n’est pas anodin de voir revenir dans le cadre, à de nombreuses reprises, les longues et immenses falaises du Tréport. Comme si les personnages sont constamment au bord du précipice, déréglant toute notion de temps, prêts à se lancer et se jeter dans l’inconnu pour y trouver le cœur de la vitalité. Six semaines d’un été qui sont comme suspendus, alimentés par une texture d’image qui fait la part belle au grain. Filmé comme les teen movies des années 1980, ÉTÉ 85 possède dans la perspective une forme mystérieuse, de l’ordre de l’inaccessible. Comme si ce temps suspendu, à flâner et aimer, est la construction d’une agitation détachée.

Une agitation qui se définit également par les mots, François Ozon étant un cinéaste très amoureux du verbe. La voix-off n’est donc pas une surprise, tant elle se détache elle-même des images et de ce que l’on doit voir. Parce que la voix-off caractérise la pensée au présent, elle n’est autre que la distance du réel avec l’imaginaire. Cette voix est le recul que prend le personnage avec son propre récit, mais aussi le recul que prend le cinéaste avec la narration. Pour éviter que son film soit prisonnier de son imaginaire, la voix-off permet de reconstituer le puzzle du réel qui a poussé les corps vers cet imaginaire. Ainsi, avec toutes les pensées et les incertitudes expliquées par la voix-off, François Ozon filme des corps prisonniers à la fois de leurs désirs, mais aussi d’une déconnexion avec leur environnement avant l’aventure romantique. Ce que la voix-off essaie de rationaliser par la parole (et bien essayer, parce que le cinéma est un geste non définitif qui pousse toujours à l’interrogation – la fonction même de l’image), le cinéaste le trouve aussi dans l’un de ses thèmes de prédilection qu’est le travestissement. Alors que la voix-off cherche à mettre des mots pour créer le récit d’une aventure, la caméra explore la disparition de la chair derrière les incontrolables sentiments.

ÉTÉ 85 est un film où les mots sont très sensibles, où chaque verbe et chaque élan de parole peut tout faire basculer dans un autre ton, dans une autre ambiance. Où chaque mot peut transformer la fonction d’un espace : une arrière-boutique pour des pulsions secrètes devient un huis-clos de torture psychologique et physique, une esplanade qui regorge de personnes peut devenir le lieu de confessions, une porte fermée peut être un argument d’effroi tout comme elle peut être un argument de tendresse mystérieuse, etc… Ce sont les mots sensibles, leur apparition à un instant donné, qui fabriquent les images de l’imaginaire. Chaque verbe a sa portée formelle, comme si chaque mot est le moteur de fabrication d’un nouvel espace imaginaire, d’un nouvel élan sentimental. Ce sont bien les personnages, par leurs mouvements et par leurs mots, qui permettent d’extraire les motifs formels romanesques. Comme s’ils/elles sont tou-te-s les personnages de leur propre imaginaire, les acteur-rice-s de leurs souvenirs et de leurs désirs. Les êtres disparaissent, les corps se transforment, et chacun-e fabrique sa propre image vagabonde qu’il/elle superpose entre deux images du réel détaché.


ÉTÉ 85 ;
Écrit et Dirigé par François Ozon ;
D’après le roman de Aidan Chambers ;
Avec Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Philippine Velge, Valeria Bruni Tedeschi, Melvil Poupaud, Isabelle Nanty, Laurent Fernandez, Aurore Broutin ;
France ;
1h40 ;
distribué par Diaphana ;
14 Juillet 2020