Dans la cour

Réalisé par Pierre Salvadori. Scénario de Pierre Salvadori et David Léotard. Avec Gustave Kervern, Catherine Deneuve, Feodor Atkine, Pio Marmai, Nicolas Bouchaud, Oleg Kupchik. Durée 97 minutes. Sortie française le 23 Avril 2014

<< Antoine est musicien. A quarante ans, il décide brusquement de mettre fin à sa carrière. Après quelques jours d’errance, il se fait embaucher comme gardien d’immeuble. Jeune retraitée, Mathilde découvre une inquiétante fissure sur le mur de son salon. Peu à peu, son angoisse grandit pour se transformer en panique. Tout doucement, Antoine se prend d’amitié pour cette femme qu’il craint de voir sombrer vers la folie. >>

Pour son nouveau film, le français Pierre Salvadori ne fait pas les choses à moitié. Comme d’habitude au cinéma, si on peut compter sur de grands atouts pour son film, autant en profiter. Ici, il dirige l’excellente Catherine Deneuve. L’une des plus grandes actrices françaises, à la filmographie très bien remplie. On le sait tous, l’actrice n’a plus rien à prouver. Elle devient vite une valeur sûre pour les films dans lesquels elle apparait. C’est avec un élément sûr que l’on peut donc aller voir ce feel-good-movie.

Enfin, il y a de quoi hésiter pour qualifier ce film. Pas vraiment un drame, puisqu’il n’y a pas de climax particulier. On balance constamment entre le feel-good-movie et le feel-bad-movie. Pierre Salvadori alterne la mélancolie et l’humour. Ainsi, sa narration est plus dense, et permet de prendre plusieurs directions pour une même situation. Le réalisateur français fait le subtil mélange entre la comédie de voisinage, et la tragédie. Ce dont il faut faire attention dans un tel mélange, c’est que l’humour noir peut devenir facile face à la tragédie. Or, Pierre Salvadori ne l’utilise pas, voire très rarement. Il se cale sur la comédie populaire, sur les bonnes blagues enfantines habituelles.

Le bon point positif du film, c’est qu’il s’approprie cet humour (au style populaire), pour venir envelopper la tragédie. Car il n’est pas toujours facile de rire devant un film. Le risque pris par le réalisateur français, c’est de rire de la dépression et de la solitude. La mélancolie qui se dégage de ces sensations est très souvent traitée frontalement et dramatiquement au cinéma. Mais Pierre Salvadori préfère détendre le spectateur. Son film se présente comme des mini montages russes. Il pourra nous faire (sou)rire à un moment. Et l’instant d’après, le film se dirige doucement vers la tragédie du récit. Comme si la dépression et la solitude devenaient assez dérisoires pour en rire.

Tout est justifié dans la mise en scène de Pierre Salvadori. Le résultat n’est pas total, mais on remarque un esprit burlesque planer au-dessus des espaces filmés. On sent que tout peut basculer soudainement. La folie devient de plus en plus intense. Et les personnages deviennent vite submergés par tout le lot d’émotions. C’est avec justesse et improbabilité que le duo Kervern / Deneuve fonctionne. Deux carrières de cinéma opposées qui sont côte à côte. Leur complicité est tellement évidente, que l’ambiance tragi-comique en devient plus touchante. L’ouverture sur le burlesque et les sujets traités en deviennent plus bouleversants.

Ce qui est tout aussi bouleversant, c’est le huis-clos décrit. La dépression et la solitude sont des choses réelllement personnelles, même intimes. Cela vient de notre seul être, notre état d’esprit respectif. Gustave Kervern est ce personnage central qui résume tout. Ancien musicien qui s’est écarté du milieu, il trouve ce job de gardien d’immeuble. Il ne sait plus à quoi sa vie se résume, il est définitivement perdu, il se sent seul dans son monde dépressif. Mais il trouvera un passe-temps, qui lui permettra de souffler entre quelques sautes d’humeurs. De là, tous les petits problèmes personnels des habitants de l’immeuble arrivent à ses oreilles. Comme si le personnage de Gustave Kervern est le tronc, et qu’il sert à connecter tous les habitants ensemble.

Sauf que, le génie de Pierre Salvadori est de tourner cela sous forme d’errance. L’immeuble, et sa cour, représente un huis-clos plus vaste qu’on peut le voir. Huis-clos physique, certes, puisque toute l’action du récit se déroule dans l’immeuble et sa cour. Et Gustave Kervern erre dans tous ces logements, un à un, sans oublier de revenir par la cour. Une cour qui sonne comme le point où tout peut exploser. La cour est synonyme de tous les petits problèmes des habitants. Du chien qui aboie, en passant par le clandestin, par les problèmes architecturaux, jusqu’aux vélos. Tout revient systématiquement à cette cour. Mais le film est également un huis-clos psychologique. La dépression et la solitude se déroulent surtout à l’intérieur des personnages. Dans la cour, on discute et les situations se posent et explosent. Quand on passe à l’intérieur de l’immeuble, tout devient plus touchant et émotif.

Il y a alors deux approches, voire deux ambiances à gérer pour Pierre Salvadori. Il se montrera plus créatif quand le récit revient à l’éxtérieur, dans la cour. Dans cet espace, son sens du cadre va chercher à connecter les personnages aux autres. Il va même chercher à les rendre plus tragiques qu’émotifs, à plusieurs reprises. La cour se présente comme un lieu des plus austère, on d’habitude on se croise seulement. Mais elle deviendra rapidement le théâtre de l’empathie, le terrain de jeu favori de la tragédie. On ne cherche pas y jouer esthétiquement. On cherche avant tout à faire fusionner les acteurs avec l’espace. Quand Catherine Deneuve est devant l’écran avec un bout de diapositive sur elle, c’est pour mieux l’encrer dans sa partie solitaire de la cour. Quand Gustave Kervern se fait presque tabasser par le clandestin, par la fenêtre et sous la pluie. C’est pour mieux le sentir enfermé dans un dilemme angoissant. L’espace extérieur est toujours en train de traduire les sensations des personnages (nouvel exemple : les fleurs qu’accroche G. Kervern).

Enfin, Pierre Salvadori ne sera pas autant inspiré lors des scènes intérieures. Dans les logements, on y retrouve les mêmes attentes d’émotions. On y retrouve les même enjeux à chaque retour à l’intérieur de ces lieux. Pourtant, le réalisateur français ne vas pas faire évoluer son cadre comme il fait évoluer son récit. Sur le papier, l’intrigue progresse selon l’errance. Mais dans la forme, tout devient assez académique. Chaque personnage est toujours filmé de la même manière à l’intérieur. Cette impression de continuité formelle ne suit pas la recherche esthétique effectuée. Chaque logement a ses colorations, et sa propre lumière. Tout est fait dans l’esthétique et les décors pour caractériser les personnages via leur logement. Mais la caméra de Pierre Salvadori va laisser les acteurs porter ces scènes. Les décors deviennent alors un subterfuge à la situation, et l’esthétique devient trop furtive.

3.5 / 5
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