Voyagers, de Neil Burger

Le titre du film ne peut être plus explicite pour comprendre que le cinéma de Neil Burger se base sur des voyages. Dans celui-ci, il est question d’une aventure de 86 ans au sein d’un vaisseau, dans le but d’atteindre une nouvelle planète habitable. Pour cela, un groupe de jeunes est formé, puis envoyé dans l’espace, afin que leurs petits-enfants deviennent les premiers à fouler le sol de la planète. Mais évidemment, VOYAGERS est un film de presque deux heures, qui ne se limite pas à observer le quotidien de ces jeunes à travailler sur le maintien du vaisseau. Le long-métrage bascule rapidement, où l’un d’entre eux découvre un élément caché au sein de l’appareil. Petit à petit, avec l’envie d’en savoir plus, il y a aussi la question des sensations qui se pose. Parce que les jeunes n’ont strictement pas le droit de se toucher entre eux. De cette manière, ils ne connaissent pas les sensations et les émotions qui font la nature humaine. Apparaît donc les pulsions les plus primaires chez l’être humain : la souffrance physique et l’attirance physique (voire sexuelle) générant une sensation de plaisir.

Ce sont ces pulsions qui font basculer le récit, la vie des personnages. Que ce soit en testant une impulsion électrique, un combat à mains nus improvisé, ou avoir des gestes déplacés envers un personnage féminin. Jusque là, ce sont des curiosités pour les personnages, et Neil Burger les montre comme une initiation. Celle où ces jeunes apprennent les sensations et les émotions humaines, se découvrent eux-mêmes, découvrent la socialisation. Cette initiation est même l’objet d’un vrai panache visuel, comme si chaque nouvelle sensation découverte par les personnages offre une explosion imaginaire. Pas loin d’être des images hallucinatoires, ce sont des instants où un geste (le fait de toucher) devient quelque chose d’expérimental, d’incompréhensible. VOYAGERS est donc à propos de ce qui se passe, ou peut se passer, lorsque les gens exploitent leur véritable moi. Toutefois, il suffit d’un drame pour que Neil Burger se perde complètement.

Le cinéaste élabore correctement et clairement les rôles de chaque personnage, jusqu’à ce qu’il cherche à étudier l’éveil sensoriel. VOYAGERS est un film qui veut toujours en faire plus, jusqu’à devenir trop et vraiment lourd. Même si les mouvements de ruées dans les couloirs sont vibrantes et inspirées, notamment par l’ivresse d’un espace qui passe de simple connectif à terrain de jeu, Neil Burger n’hésite jamais à employer des images pas très subtiles pour caractériser les sensations. On ne compte plus le nombre de gros plans et inserts sur les pupilles, sur les poils de bras qui se dressent, sur des objets qui se cassent, des couloirs qui deviennent expansifs à souhait, etc. Plus les curiosités augmentent, plus les émotions prennent de la place, plus les personnages sont soumis aux questions de liberté, de libre arbitre, de consentement, de pouvoir, de violence. Mais ce sont des sujets que Neil Burger pose sur le tapis sans jamais chercher à les creuser véritablement. Dès lors qu’un certain mystère se creuse, c’est la peur et la paranoïa qui s’invitent dans le vaisseau, mais le cinéaste n’en fait rien. Il préfère garder ses acquis visuels explicites et peu subtils, pour plonger complètement dans un simple thriller d’action.

Dès qu’une rébellion fait surface dans le groupe, le film tente d’explorer le caractère primitif, sauvage et violent de l’être humain. Sauf que VOYAGERS devient juste l’illustration d’une opposition violente entre deux camps. Au bout du compte, ce n’est qu’un survival où des jeunes s’attaquent entre eux, uniquement parce qu’ils ont découvert le principe des sensations et des émotions. La violence se résume donc à des traits de visages qui se plissent, des yeux qui se vident, des corps qui bougent dans tous les sens, et une caméra qui s’excite pour faire croire à une tension instantanée. Le genre de langage visuel que le cinéma connaît depuis bien longtemps, jusqu’à même devenir le langage d’une série ordinaire sur fond de drama entre adolescents. Toute la mise en scène et le visuel sont de plus en plus régressifs, ne tenant jamais une idée de huis-clos, de claustrophobie, de menace de hors-champ plus d’une poignée de minutes. VOYAGERS est censé être un film qui emmène vers l’inconnu (une planète), vers le mystère (la vie dans l’espace), qui en son sein même cherche à découvrir un autre inconnu (les sensations et émotions humaines), mais qui retourne constamment vers ce qui est de plus familier : la violence humaine. Ou comment un film sur l’anarchie et sur l’éveil sexuel devient un jeu de rôles, où le cadre préfère regarder les twists scénaristiques que chercher la complexité des émotions.


VOYAGERS ; Écrit et Réalisé par Neil Burger ; Avec Lily-Rose Depp, Colin Farrell, Tye Sheridan, Fionn Whitehead, Chanté Adams, Quintessa Swindell, Archie Madekwe, Isaac Hempstead Wright, Viveik Kalra, Madison Hu, Wern Lee ; États-Unis ; 1h48 ; Distribué par Universal ; Sortie le 26 Mai 2021