Un Prophète

Consacré par Cannes (Grand Prix), adulé par la critique (comme d’habitude?), plébiscité par le public (après quelques jours seulement), le Prophète de Jacques Audiard est parti pour entériner la carrière d’un des rares auteurs français à cumuler autant de distinction. La raison à une filmographie sans faux pas, et surtout sans concession. Audiard fait son cinéma, et c’est bien ça qui compte.

Mais son prophète ne serait rien sans ses interprètes, d’un Tahar Rahim nouveau totalement habité par son personnage, à Niels Arestrup dont la classe de parrain corse est sans égale, et un ensemble de comédiens juste à leur place. On sent la voix de leur réalisateur derrière tout cela, mais force est d’admettre que nous sommes ici en terrain conquis. Un vase clos, presque un huis clos en prison où nous débarquons avec le personnage principal, alors tout juste 18 ans de vie entre foyer et passage en prison. Un déraciné de la vie sans trop de méchanceté qui va se révéler au contact des autres détenus, et s’affirmer pour survivre. Tout en restant assez intelligent pour ne pas s’exposer. Pas question ici pour Audiard de partir dans une critique du système, même si inévitablement on ressort avec un avis, mais on est plus proche du polar entre quatre murs que de la critique sociale. La prison est filmée « en vraie », avec ses défauts et ses bons côtés (cours de lecture, etc..) dans un quotidien sous pression où les jeux psychologiques et les chocs culturels sont les causes de vie ou de morts. On pourrait aussi parler de corruption et contrebande, mais là n’est pas le discours du réalisateur qui s’appuie plus sur la psychologie de ses personnages et leur évolution. Très intelligent, le scénario nous fait suivre les six années de prison du héros, et sa lente métamorphose.

Totalement habité par son interprète principal, Un Prophète nous emmène dans un voyage de plus de deux heures et demi en cellule, entre la réalité dure et froide d’une prison moderne, et l’onirisme de quelques séquences volées au plus près de l’âme du personnage central, hanté par ses démons. Et c’est là que le film d’Audiard touche au plus le spectateur, dans ce grand melting pot d’ambiances et de références. Arrivant à trouver une certaine vérité, il parle de tout et de tous, s’inspirant de certaines pensées du Coran ou de l’ambiance France du sud, entre corses et italiens. Avant tout film de voyou, mais également film humain, Audiard filme l’ascension d’un homme, de son arrivée en zonzon à son apprentissage de la vie et des leçons auprès des grands bandits, jusqu’à son affirmation au sein du système comme l’un des chefs de réseau, et avec toute l’intelligence qu’il peut avoir. C’est finalement très dense, et très bien construit, même si on peut regretter une durée excessive qui ne peut empêcher l’attention de retomber à quelques moments. Mais finalement des films aussi beau on en redemande, et Audiard est tout excusé. Reste à voir ce que sera son prochain film..

5 / 5