Tramontane

Il serait difficile de passer à côté de la métaphore du film. Bien qu’implicite soit-elle, préférant passer du discours au geste esthétique de l’art, elle est claire envers le Liban – pays dans lequel se déroule l’intrigue. A travers son protagoniste en quête de vérité sur son passé, sur son identité, le long-métrage se tourne vers le passé du Liban. Sauf que le point de vue du jeune homme est celui de la caméra : on traverse plusieurs endroits d’un pays qui vit dans l’indifférence de son passé, un pays tourmenté qui est plongé dans le déni avec différentes versions proposées. Toutefois, le film ne pose aucune barrière face aux interrogations.

Il existe un échappatoire pour Rabih, et donc pour le Liban. C’est là que l’utilisation du medium artistique prend tout son sens : Rabih chante sa déchirure, pendant que Vatche Boulghourjian met en image l’espoir. L’esthétique de TRAMONTANE se distingue en deux nuances. La première est d’explorer une abstraite vérité, à travers la sensualité de la détresse et à travers l’espoir chanté. La seconde nuance est de matérialiser le mensonge : les personnages secondaires se posent autant de portes closes qu’il faut de temps pour les ouvrir. Ainsi, l’aveuglement n’est pas vraiment là où le spectateur peut le croire. Rabih est certes aveugle mais il est bien le seul personnage à éclaircir des faits et des questions, tandis que les autres personnages errent dans le mensonge. Tout ce déni fait partie d’une esthétique éclatée : à raison de disperser le récit en plusieurs lieux, le cinéaste veut rassembler un puzzle décomposé.

Sauf que la reconstitution doit s’effectuer par l’effacement imaginaire des lieux explorés. Ce puzzle environnemental n’en est pas vraiment un. La mise en scène des espaces est plutôt tel un yo-yo : le film jongle entre plusieurs espaces pour désorienter totalement son protagoniste Rabih, et entraînant le spectateur avec. Alors le film accumule les désenchantements sur une durée bien trop étirée. Pourtant, cela permet à la métaphore d’errer davantage dans l’abstraite vérité. Comme si le protagoniste s’était aventuré dans un long tunnel où chaque période vécue est rapidement oubliée. C’est bien l’effet d’un puzzle : une fois qu’un morceau est positionné, on l’oublie afin de passer à un autre.

De là naît la mise en scène superflue de Vatche Boulghourjian : à force de piéger son protagoniste dans l’abstraction du passé et dans un puzzle désorientant, le cinéaste crée l’absence de mouvement. Les personnages sont bien trop souvent assis, toujours à réciter un scénario qui finit par être trop bavard et trop rempli d’informations. La mise en scène se repose sur une idée : le confinement. A chaque espace où se trouve Rabih, le film donne l’impression de l’y enfermer perpétuellement, afin de créer des éternels allers-retours (qui n’auront pas lieu…). Superflue aussi parce que cette mise en scène n’énonce rien, elle ne montre rien. Elle se contente d’être présente dans un minimalisme qui doit pouvoir toucher éviter la complexité.

Alors que, en parallèle, Vatche Boulghourjian utilise une esthétique frontale pour filmer ses personnages. Avec une photographie toujours en clair/obscur laissant planer un mystère angoissant et constant, le film dresse un magnifique portrait du paysage du Liban. En contre-point, la caméra se veut le relais entre le fantasme et la dure réalité. Le relief est un rêve d’espoir, tandis que le premier plan est un gouffre dans lequel les personnages sont enchaînés. Avec un montage qui ne cesse d’opposer l’espoir à un enlisement dans le flou, la caméra renvoie directement la confrontation avec l’errance (avec le manque de mouvement, bien sûr).

TRAMONTANE de Vatche Boulghourjian
Avec Barakat Jabbour, Julia Kassar, Michel Adabachi, Toufic Barakat, Nassim Khodr, Abido Bacha, Georges Diab, Odette Makhlouf, Raymond Haddouni, Sajed Amer.
France, Liban / 99 minutes / sortie le 1er Mars 2017

3 / 5