Le train de sel et de sucre

En 2012, Licinio Azevedo présentait VIRGEM MARGARIDA au Festival du Film d’Amiens. Déjà un film au contexte de guerre, le long-métrage était davantage un mélange d’humour et une sorte de huis-clos esthétique. Ce qu’a réussi à faire perdurer le cinéaste est l’alternance entre les instants aisés suivis de revirements soudain vers des moments cruels. Cependant, LE TRAIN DE SEL ET DE SUCRE est bien plus un film de guerre que le précédent, il s’agit vraiment ici d’un film de genre. Ainsi, pour traiter le genre, l’intrigue développée est assez simple : une guerre civile a lieu au Mozambique, et des civils risquent leur vie en prenant le seul train qui doit affronter plusieurs sabotages.

A l’image de l’incroyable plan subjectif à l’avant du train, le voyant avancer doucement sur les rails, présentant un paysage vide, c’est toute une esthétique du genre qui est mise en place. Tel le long-métrage DARK OF THE SUN (1968) de Jack Cardiff, aussi un film de guerre se déroulant en grande partie à bord d’un train, l’esthétique de la guerre se compose de deux parties. La première étant les plans successifs sur la persévérance et l’acharnement des personnages soldats à bord du train. Une frénésie du combat que l’on peut retrouver dans plusieurs scènes de A BRIDGE TOO FAR (1977) de Richard Attenborough. Mais surtout, il y a une grande gestion du hors-champ pour définir l’angoisse et la peur de l’ennemi. Les travelling sont souvent lents et sur une court distance, afin de créer la même surprise aux personnages qu’aux spectateurs. Pouvoir de suggestion oblige, le film ne tient pas à montrer la cruauté mais plutôt d’en montrer les conséquences traumatisantes.

Parce que comme avec TRAIN SANS HORAIRES de Veljko Bulajic (1959), le train est surtout une valeur sociale et politique. Le long-métrage croate n’est pas un film de guerre, mais seulement la délocalisation de la société d’un lieu fixe et à un lieu mobile (en attendant d’aller vers un autre lieu fixe). Les destinations n’étant jamais montrées, que ce soit dans le film de Bulajic ou celui de Azevedo, il est question d’explorer la dimension sociale dans une sorte de huis-clos. On y retrouve l’esthétique emprisonnant de VIRGEM MARGARIDA, mais sans l’humour. Ici, l’ambiance lourde de la guerre se combine à un ton froid au sein de l’oppression. LE TRAIN DE SEL ET DE SUCRE n’a pas cette intention de montrer les bons et les méchants, il approche la société avec bruit (le cri de rage d’un peuple qui est contraint à plusieurs choses) et fureur (un film totalement anti-militariste).

Licinio Azevedo croit surtout à l’âme humaine au sein de ses personnages, c’est pour cela que ses scènes de guerre pure sont entrecoupés de moments sociaux chaleureux. A l’image du DOCTOR ZHIVAGO de David Lean (1966), le film de Azevedo se positionne dans une neutralité maximum entre le bien et le mal, afin de pouvoir explorer l’intime. L’angoisse ne se traduit pas seulement dans le genre, mais aussi dans le drame intime. Très amicale avec ses personnages, la caméra tend à constamment les protéger du hors-champ, tend à créer un espace de sécurité et de bienveillance. Ce train est, comme dans le film de Lean, dans celui de Bulajic et celui de Cardiff (on pourrait même citer BRIEF ENCOUNTERS de Lean également) un espace d’espoir qui doit absolument franchir la cruauté. Mais un détail se démarque : l’esthétique du TRAIN DE SEL ET DE SUCRE se démarque par sa gestion du temps ; comme dans DOCTOR ZHIVAGO, le long-métrage crée la désorientation spatio-temporelle pour mélanger la crainte du passé avec l’espoir du futur, dans la férocité sans pitié du présent.

Puis, Licinio Azevedo prouve une chose avec son œuvre : le film de genre n’a pas besoin de musique pour porter une ambiance particulière, le découpage suggestif et bienveillant suffit à lui-même. Le seul bruit du train qui roule est déjà un mariage de l’angoisse et de l’espoir, le bruit de l’inconnu dans une prétendue bulle de sécurité. Et même parfois sans répliques, les scènes tragiques n’ont besoin que de l’image pour faire preuve de sensation.

LE TRAIN DE SEL ET DE SUCRE de Lucinio Azevedo.
Avec Matamba Joaquin, Melanie de Vales Rafael, Thiago Justino, Absalao Maciel, Mario Mabjaia, Horacio Guiamba, Sabina Fonseca, Antonio Nipita, Vitor Raposo, Abdil Juma.
Mozambique, Portugal, France / 93 minutes.

4.5 / 5
À lire aussi ⬇️

Devenez contributeurs/rices. 👊

Rejoignez un magazine libre et respecté. Depuis 2004, Onlike recense pas moins de 46 contributeurs indépendants dans ses colonnes,

en savoir plus
NEXT ⬇️ show must go on