Timbuktu

Réalisé par Abderrahmane Sissako. Écrit par Kessen Tall. Avec Pino Desperado, Abel Jafri, Toulou Kiki, Kettly Noel, Hichem Yacoubi. Mali. 100 minutes. Sortie française le 10 Décembre 2014.

Quand on regarde TIMBUKTU, il faudrait presque se demander où il faut chercher le noyau central. Parce que Abderrahmane Sissako brasse plusieurs intrigues à la fois. Entre une famille qui vit à l’écart, l’exécution des règles dans le village, la succession des plans chocs, les micro-intrigues d’autres villageois, … le cinéaste ne sait pas trop où donner de la tête. Le problème, c’est qu’à force de brasser du sable dans toutes ces intrigues, A. Sissako ne sait pas où donner de l’ampleur, du consistant. Enfin, donner du concret au spectateur pour le faire suivre dans la réflexion proposée. Car il est indéniable que le film s’interroge sur la situation dans ce village au nord du Mali.

L’histoire est donc en deux parties distinctes, dans un montage alterné, même si ces deux parties se croisent à plusieurs moments. La première raconte le quotidien d’un père de famille qui décide de se venger, mais il sera puni pour son crime. La seconde est plus générale, et suit le calvaire des villageois sous les règles des islamistes qui dirigent. Dans ce film, il y a la souffrance de tout un peuple qui est le point commun de ces deux parties. Le sable joue un grand rôle dans le film, notamment dans cette matière (qui constitue le désert) où les corps viennent se déchirer, s’échouer. Là où les corps se déchirent, les esprits sont torturés, renversés et oppressés.

Il faut remarquer à quel point les corps sont toujours proches du sable. Que ce soit dans la souffrance de la soumission, ou même dans la communion avec une certaine spiritualité. Quand l’un des personnages danse sur le sable, c’est tout son corps qui se lâche, si bien que tout ce qui l’entoure devient futile. Il n’y a plus que lui, l’espace lui appartient, et il domine la pensée par sa chorégraphie. D’un autre côté, il y a les corps presque immobiles des villageois. Leur soumission est dans un évident renfermement de leur vie. La moindre confrontation devient vaine, tellement la présence physique de ceux qui dirigent est suffisante pour oppresser.

A. Sissako cherche constamment à filmer l’oppression. Il se sert de beaucoup de gros plans (ou rapprochés) pour capter la souffrance, et de plans moyens pour décrire une situation. Le cinéaste adopte là une forme complètement pédagogique, où l’académisme vient présenter au spectateur seulement ce qu’il y a à voir. Le film dirige sans cesse le regard du spectateur, pour bien l’encrer dans le propos bien-pensant des situations. C’est là que l’interrogation sur la situation au nord du Mali devient très rapidement une dénonciation. Ce film pose tout au long de sa narration les oppositions bien/mal, gentils/méchants. On se croirait devant un film d’aristocrate social qui fait son discours depuis un salon de thé bien clinquant, et ne propose qu’une alternative via les arts de ce que montrent les médias de masse.

Il pourrait s’agir ici d’un cinéma universel, à la limite du populaire. Mais sa mise en scène est bien plus travaillée que son approche trop lisse. Le film, en prenant des risques sur les personnages qu’il met en avant, met en scène le rêve brisé de tout un peuple. Parler de liberté sera trop réducteur et facile, mais le film frôle cette étroitesse du propos. Le film tente tout de même d’aller plus loin, dans sa manière de vouloir montrer une condition humaine qui est contrôlée. Le simple rêve du paradis où l’être humain vit en paix sur Terre, est compromis dans ce film. Et c’est que A. Sissako nous livre dans son discours.

Pour cela, il choisira de lier la radicalité de sa mise en scène et une légère abstraction. Cet aspect abstrait réside dans la description et les attitudes des personnages. A plusieurs reprises, de l’absurdité vient s’intégrer aux situations complexes. Le film n’abuse pas dans sa volonté de montrer une situation choquante et intolérable. A. Sissako a mis des freins sur son discours, en n’exagérant pas les règles fixées par les islamistes qui dirigent. Ca peut aller d’une marchande qui propose que ces « dirigeants » lui coupe les mains car elle ne porte pas de gants, ou qu’une jeune fille seule dans une ruelle se fasse accuser sans preuves, … Les réprimandes effectuées portent sur des détails paraissant insignifiants.

D’un autre côté, c’est dans cette touche d’abstraction que la radicalité de la mise en scène prendre toute sa force. Rien n’est laissé au hasard, et les personnages montrés comme les « méchants » de l’histoire sont (presque) comme des robots. Leurs attitudes sont limitées, pour clairement signifier la dureté de la situation. Le montage pas très rythmé contribue à la mise en scène des personnages, où la longueur des plans et la durée allongée des actes font une paire parfaite pour exprimer la rigueur sévère imposée dans un espace déjà assez austère.

2.5 / 5
À lire aussi ⬇️

Devenez contributeurs/rices. 👊

Rejoignez un magazine libre et respecté. Depuis 2004, Onlike recense pas moins de 46 contributeurs indépendants dans ses colonnes,

en savoir plus
NEXT ⬇️ show must go on