Suzanna Andler, de Benoît Jacquot

Adapter une pièce de théâtre n’est pas un exercice simple. Ce n’est pas parce qu’une œuvre théâtrale est reconnue, ou même appréciée, que sa portée sur le grand écran est une bonne idée. Benoît Jacquot adapte la pièce « Suzanna Andler » de Marguerite Duras en long-métrage. Sauf qu’une adaptation nécessite une vision, voire une réappropriation, ou même un écart. Ce n’est plus un secret, les meilleures adaptations cinématographiques sont celles qui prennent des libertés, qui créent leur propre matériau et leur propre point de vue. Or, SUZANNA ANDLER semble dévitalisé, comme le casting qui joue en permanence et ça se voit. Jouer un rôle ne veut pas dire l’intégrer ou le devenir. Ici, nous ne sommes pas loin de marionnettes qui récitent un texte sur lequel ils n’ont aucun contrôle, sur lequel il n’y a aucun risque et aucune spontanéité possible. Dans les cinq dialogues, tout est d’une grande raideur, se refusant toute souplesse dans le ton ou la mise en scène. Constamment sans âme, le long-métrage est purement théorique, se contentant d’être ultra bavard, plutôt que de chercher à créer quoi que ce soit physiquement et visuellement.

A tel point que la mise en scène de Benoît Jacquot doit s’appuyer sur la récitation du texte pour exister un minimum. Le récit évolue, évidemment, parce que les relations entre les personnages se nuancent et sont explorées. Cependant, toute la mise en scène est soumise à un même ton, très catatonique. Peu importe l’émotion des personnages, les corps se figent beaucoup pour échanger, les regards se figent, les personnages se replient sur eux-mêmes dans leurs pensées, et les postures ne servent aucunement un état émotionnel. La mise en scène se résume à se balader dans l’espace, à faire quelques pas, pour dire ne pas rester immobiles pendant 92 minutes. Même si l’un des dialogues se déroule complètement assis… La mise en scène est tout aussi enfermée que les personnages dans cet espace unique (normalement un principe de théâtre), aussi figée que le décor semble être endormi, aussi répétitive que l’atermoiement de la protagoniste envers la villa s’étend. Il suffit de voir à quel point l’adaptation se contente d’une seule pièce, d’un balcon et d’un coin de plage. Alors que la propriété est supposée être immense. Alors c’est l’hésitation : économie de moyens pour tout mettre sur le ressenti ? Ou manque d’inspiration flagrant malgré la liberté que procure la grandeur du paysage ?

C’est absolument fou de se limiter autant, de se contenter d’allers/retours et de faire les cent pas entre un salon et un balcon. Même s’il y a un effet de personnages suspendus dans le temps, comme dans une photographie, la caméra est constamment dans l’observation. Peu importe tous ces moments où le cadre fait des manières, avec ces travellings légers, en croyant que cela est synonyme de douceur alors que les personnages se livrent verbalement. C’est plutôt l’observation de quelque chose qui n’existe pas, qui ne se traduit jamais dans la mise en scène. Il y a quelques gros plans qui essaient d’initier une vision romantique, que ce soit sur un baiser ou des rapprochements physiques, mais l’image ne cherche jamais à révéler quelque chose des personnages. Le cadre ne va pas plus loin que la description du moment, élaborant une distance permanente avec ce qui est recherché par les personnages. À force d’insister sur l’approche théorique, SUZANNA ANDLER montre des corps qui se donnent des airs, dans un espace qui est censé leur redonner une énergie et les mettre à nu.

Au final, ce sont bien des masques qui errent dans un espace restreint, où le montage tente de rythmer tant bien que mal la mise en scène catatonique. Changer les angles de vue dans le seul but de dynamiser le montage ne donne pas une identité au film. Au contraire, cela rend l’ensemble bien anecdotique, certes fluide et transparent, mais trop inégal pour compter sur des images marquantes. Tel le monde extérieur et la vie des personnages qui ne sont évoqués que par des allusions ou un coup de téléphone, SUZANNA ANDLER n’existe qu’en théorie et en pensée. Il n’y a rien de palpable, si bien que pour créer un semblant d’atmosphère (pendant que les paroles affluent) il était apparemment nécessaire d’appuyer les bruits des vagues pour les mettre au même niveau que les voix… Même pire : pour comprendre le film, il n’y a pas besoin des yeux, juste des oreilles.


SUZANNA ANDLER ; Écrit et Réalisé par Benoît Jacquot ; D’après la pièce de Marguerite Duras ; Avec Charlotte Gainsbourg, Niels Schneider, Julia Roy, Nathan Willcocks ; France ; 1h32; Distribué par Les Films du Losange ; Sortie le 2 Juin 2021