Sunset Song, fresque familiale dans une Angleterre rurale

Écrit et Réalisé par Terence Davies
Avec Agyness Deyn, Peter Mullan, Kevin Guthrie, Jack Greenlees, Ian Pirie, Daniela Nardini, Douglas Rankin, Trish Mullin
Grande-Bretagne
135 minutes
Sortie le 30 Mars 2016

Dans la campagne écossaise du comté d’Aberdeen, peu avant la Première Guerre Mondiale. Après la mort de leur mère épuisée par les grossesses successives, les quatre enfants Guthrie sont séparés. Les deux plus jeunes partent vivre avec leur oncle et tante tandis que leur soeur, Chris, et leur frère aîné, Will, restent auprès de leur père, John, un homme autoritaire et violent. Les relations de plus en plus houleuses entre père et fils conduisent Will à embarquer pour l’Argentine. Chris se retrouve dans l’obligation de renoncer à son rêve de devenir institutrice pour s’occuper de son père. Peu après, ce dernier succombe à une attaque. Ne pouvant se résoudre à quitter la terre familiale, Chris décide alors de reprendre seule la ferme.

Par toute cette succession d’intrigues autour de la protagoniste (qui n’aurait que 19 ans), le film se construit comme une fresque. Un montage de plusieurs tableaux avec un enchaînement à ellipses très marquées. Même si les situations peuvent apparaître brutalement les unes après les autres selon certains, elles sont surtout condensées à l’essentiel : l’intime. C’est ce sur quoi les britanniques sont les plus forts, explorer l’intimité des personnages pour en déterminer l’ambiance d’une époque. Ici, Terence Davies s’attarde sur certains éléments et passe en revue rapide d’autres. Mais à aucun moment cela n’est gênant, parce que chacune de ces situations épouse le point de vue grâcieux et féministe de la protagoniste, dont l’approche est proche de celle de RYAN’S DAUGHTER (David Lean, 1970).

Il n’y a aucune prétention à dire que SUNSET SONG l’égale ou en fait une relecture. Les traitements sont similaire par rapport aux protagonistes, point. Là où David Lean construit une fresque dans l’onirisme, Terence Davies tend à garder un esprit réaliste mais quelque peu impressionniste sur la photographie (on y reviendra). Le rêve d’ailleurs chez David Lean n’existe pas ici, car ce qui fonde l’essence de sa protagoniste est la confrontation perpétuelle entre l’amour et le déchirement. Il faut voir comment elle est triste pour son frère mais qu’elle tente de freiner, comment elle crée une distance avec son père bien qu’elle reste vivre avec lui, ou comment elle est confrontée au nouveau caractère de son époux qui revient de la guerre, etc. Terence Davies a cette thématique autour du déchirement au sein d’un noyau rempli d’amour : c’est ce qui crée l’émancipation de Chris.

Parce qu’elle avait pourtant débuté le film avec un rêve d’ailleurs : devenir institutrice dans une autre ville, quitter le cocon familial. Finalement, cela lui sera arraché et c’est un autre membre de la famille qui partira. En restant dans l’espace familial, la protagoniste permet au film de développer une contemplation de la condition féminine, où l’initiation prend beaucoup de temps mais sera toujours épandue de choix et d’instants de courage. Il n’y a pas d’intérêt à filmer la guerre quand elle arrive, ni à s’attarder sur le mariage, ni même à allonger le temps où elle est seule avec son père : ces passages sont peut-être courts mais ils servent à construire la protagoniste dans la force de la femme qui vit derrière l’homme. Parce que rarement la femme n’a été aussi mise en avant si chaleureusement à travers la période victorienne ou de Première Guerre Mondiale.

Pour réussir à transmettre tout ceci dans son film, Terence Davies montre ce que les britanniques savent faire de mieux : filmer les paysages et les foyers. Le long-métrage s’inscrit dans la longue lignée de productions britanniques où la condition humaine vient prendre sa source dans les territoires. Ici, rien par son premier et dernier plan, le cinéaste montre que les espaces sont éternels et qu’ils sont la source de tout. Tout au long du film, ces espaces passent outre les ellipses et justifient leur éternité. Ce sont eux qui définissent l’ambiance et qui dictent les attitudes des personnages. Rien ne change, jamais, dans les paysages et c’est toute la beauté des images. Le cadre se plie face aux territoires, parce que les landes britanniques parlent d’eux-mêmes, expriment une grande sagesse envers les personnages et les rassurent.

Il n’y a aucune inquiétude à traverser un champ de blé pour aller à l’église, il n’y a pas de peur de se salir les chaussures dans la boue pour prendre une calèche, ou pour faire rentrer les chevaux dans la grange, etc. Là où les espaces prouvent leur éternité en étant l’ami fidèle de l’homme (ou sa pire torture par exécution, par mauvais temps, …), il y a l’effet éphémère que provoquent les foyers. Dernièrement, Andrew Haigh l’a encore prouvé avec son kitchen sink drama intitulé 45 YEARS. Ici, Terence Davies confirme que l’intérieur des foyers n’a pas non plus de temporalité définie. Peu importe l’époque, les générations, les personnalités, le nombre de personnes, … il y a toujours ce feu brûlant à l’intérieur des personnages. Des flammes qui sont à la fois la chaleur des relations humaines, mais également ce qui peut les détruire. Rien n’est acquis dans les foyers des films britanniques, tout est à préserver.

D’où cette magnifique lumière impressionniste dans les plans de SUNSET SONG. Terence Davies arrive à la fois à capter la vérité d’une époque et de la condition féminine, mais aussi à la rendre plus gracieuse par sa force à survivre. La lumière serait une dimension divine qui protège la protagoniste de tout mauvais pas, même si le sort ne fait pas preuve d’indulgence (au contraire). Peu importe les épreuves que subit Chris, elle reste debout, active et le plus important : émotive. Parce que dans les images, le plus important, c’est quand la dramatisation des espaces et les émotions des personnages trouvent leurs esthétiques propulsant le film vers l’intensité des sensations. Grand cru britannique.

4.5 / 5
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