Split

Kevin a manifesté 23 personnalités devant son psychiatre de longue date, le Dr Fletcher mais il en reste une, immergée, qui commence à se matérialiser et à dominer toutes les autres. Contraint d’enlever trois adolescentes, dont la jeune Casey, Kevin se bat pour survivre parmi tous ceux qui évoluent en lui-même – et autour de lui- tandis que les murs entre ses personnalités volent en éclats.

Après le mitigé THE VISIT (2015), puis les tourments et déceptions autour de AFTER EARTH (2013), de LE DERNIER MAITRE DE L’AIR (2010), et de PHENOMENES (2008), la dernière décennie n’a pas été très rose en critiques pour M. Night Shyamalan. Beaucoup ont espéré un retour fracassant du cinéaste à une grande forme, à une proposition qui ne se perd pas dans les ombres de son cinéma. Avec SPLIT, je dois confirmer que le cinéaste est enfin de retour. Ce thriller redonne une vie à ce que le cinéaste fait de mieux. Sa narration qui a pour habitude d’égarer le spectateur dans le flou, dans la dilution d’informations, est de retour. Et cela avec un James McAvoy qui tient l’un de ses tous meilleurs rôles, épatant dans toutes les personnalités différentes qu’il incarne – avec des changements étonnants en un froncement de cils. Il y a également la jeune Anya Taylor-Joy, captivante par son silence et sa crispation, qu’on a déjà pu admirer précédemment dans THE WITCH (2016).

SPLIT est un film à la narration étriquée, qui s’éparpille dans plusieurs horizons de lectures et qui s’adapte aux tons choisis pour chaque « personnage » de James McAvoy. Mais c’est aussi une narration aérienne, qui plane au-dessus du récit sans jamais avoir de réel point d’ancrage. La force de M. Night Shyamalan ici, est présenter des séquences qui n’ont pas de position temporelle unique. Rien n’est monté aléatoirement, bien sûr, mais on sent plusieurs grilles d’approches possibles. L’ambiance n’est pas unique, c’est ce qui installe la narration hors du temps et de l’espace, jamais pré-définie par une quelconque obligation de mise en scène.

La mise en scène du cinéaste est un élément à part entière, où l’esthétique ne s’intègre pas, mais les deux se rejoignent à plusieurs reprises. M. Night Shyamalan créer un environnement presque toxique, trouble car il s’agit d’un enfermement sans repères. Il y a existe très peu de scènes en extérieurs, toute la mise en scène s’effectue de pièces en pièces, avec de longs couloirs étroits. Des espaces brouillons, au relief incertain, où le mouvement est infini (voir parfois vain). Avec des cadres fixes à l’intérieur des pièces, le cinéaste les colle perpétuellement au décor. Alors que les couloirs semblent devenir un espoir dans la mise en scène, l’esthétique les allonge éternellement.

Avant même de connaître les fameuses révélations finales concoctées par le cinéaste, toute la mise en scène s’imprègne d’une noirceur perturbante car les personnages s’y enfoncent inlassablement. Il y a pourtant une certaine froideur clinique dans l’esthétique, avec ces regards inquiets entre la porte et le mur, avec ces obsessions incessantes des différentes personnalités de James McAvoy ; voir aussi le hublot de la porte de la cuisine, filmé avec le regard des personnages féminins, lançant un regard de détresse. Il faut ajouter à cela le mélange entre l’obscurité des lieux et une lumière jaune-orange, comme si les trois personnages kidnappés sont désormais prisonnières d’un monde marginal. En quelque sorte, par ce triple kidnapping, M. Night Shyamalan emporte de force le spectateur dans son propre univers de thriller fantastique

C’est un isolement permanent qui se crée dans le cadre : la mise en scène cherche en fait à échapper au cadre qui cloisonne. Il y a les bruits du hors-champ, les attitudes crispées, le cadre qui écrase le mouvement vers la fatalité, une mise en scène qui crie en silence (voir ce plan magnifique où James McAvoy parle en hors-champ à Anya Taylor-Joy en regard caméra, dans un plan symétrique, au sein de la chambre murée). L’angoisse est ici, avec l’ambiguïté des attitudes de James McAvoy, l’élément qui relie la mise en scène et l’esthétique dans la fatalité. Cependant, le long-métrage est une extrapolation infinie : le kidnapping est un prétexte pour M. Night Shyamalan, car James McAvoy et ses 23 (ou 24) personnalités est la réelle fatalité, la réelle perturbation par l’omniprésence.

Pourtant, une certaine révélation apparaissant après 95 minutes, fait chuter considérablement le film dans une séquence de pure série B. Un élément du récit qui était jusqu’alors immatériel devient matériel, plongeant le long-métrage dans un fantastique brut et effacant tous les efforts précédents (aussi bien mécaniques que récréatifs – parce qu’il s’agit aussi d’un cinéaste qui se fait plaisir). Une série B qui ne sert plus le mélange entre la mise en scène et l’esthétique, ni l’ambiguïté du cinéma de M. Night Shyamalan. A partir de ce moment, tout est trop factuel, redonnant au spectateur sa place de simple spectateur qui subit une « course poursuite » expédiée. Cela est rattrapé par le sort final des protagonistes, puis par un cameo post-générique. Oui, restez jusqu’à la toute fin, parce que le grand twist final de M. Night Shyamalan est tout aussi surprennant que WTF : serait-ce l’indice ultime quant à une hypothétique trilogie, ou juste pour chercher le retour de la reconnaissance critique ?

SPLIT de M. Night Shyamalan
Avec James McAvoy, Anya Taylor-Joy, Betty Buckley, Haley Lu Richardson, Jessica Sula, Izzie Coffey, Brad William Henke, Sebastian Arcelus.
Etats-Unis / 120 minutes / 22 Février 2017

4 / 5