Si Beale Street pouvait parler

Tout commence comme un conte, comme un pas de danse gracieux descendant des escaliers, pour décrire une histoire d’amour qui ne connaît ni d’espace, ni de temps mais seulement des regards. SI BEALE STREET POUVAIT PARLER est avant tout un film d’amour, se concentrant sur une romance entre deux jeunes personnes. Barry Jenkins, dès le début et jusqu’au plan final fatal mais bienveillant, construit un conte poétique sur l’engagement qu’apporte le sentiment amoureux. La détermination de la jeune Tish est donc le coeur du long-métrage, amorçant plusieurs discours et réflexion. Même si le film parle avant tout d’amour, et s’y concentre, Barry Jenkins n’en oublie pas son propos politico-social. A travers la romance, il peut parler de personnages (et d’une communauté) persécutés, tout en appuyant sur les nuances et les complexités car chaque individu est différent. Même au sein de la communauté dans laquelle il pose son regard, Barry Jenkins suit James Baldwin et montre qu’il y a plusieurs pensées, plusieurs attitudes et plusieurs points de vue.

Déjà sans sa mise en scène, Barry Jenkins se consacre à glorifier les personnages positifs, à protéger leurs corps. Il ne donne pas de temps pour les autres, ceux qui font preuve de racisme / de mépris / de radicalité, qui ne sont résumés qu’à de courts instants où ils lâchent toute leur méchanceté gratuite. L’objectif est donc de s’appuyer et d’accompagner les personnages positifs, de laisser leurs corps et leurs visages s’exprimer entre l’intimité et l’émotion. L’exemple parfait est la scène où Tish annonce à sa famille qu’elle est enceinte : elle s’écarte pour attendre la réaction des autres personnages, puis sa famille vient la rejoindre de manière enthousiaste sur le canapé. L’exemple même de la mise en scène de Barry Jenkins dans son film : la crainte fait ensuite place à l’amour. Cet amour a deux visages : celui entre Tish et Fonny, mais aussi celui de la famille de Tish qu’ils lui porte. Ensemble, cela crée une vraie poésie des corps, qui par l’amour se rapprochent, se soutiennent et s’entrelacent. Une fois que les personnages ont dépassés l’état du rapprochement, les corps ne se quittent plus, jusqu’à la souffrance de la séparation. Mais Barry Jenkins ne s’appuie pas sur le sentimentalisme ou sur du pathos, il définit sa romance par les souvenirs où les deux corps s’unissent dans les bons et les mauvais moments.

Une manière de faire triompher l’amour sur l’injustice, de continuer le combat grâce à l’amour. Même si le récit, le montage ou même la mise en scène ne laissent pas de temps pour les personnages négatifs, il y a toujours le contexte de séparation qui flotte au-dessus de chaque scène. SI BEALE STREET POUVAIT PARLER parle de l’amour au lieu de faire la guerre, sans oublier que l’injustice n’est pas finie, elle gravite toujours autour des personnages. Ainsi, le cadre est extrêmement généreux avec ses personnages positifs. Barry Jenkins les filme de près quand les corps s’entrelacent, et de plus loin pour laisser tout l’espace nécessaire à la joie / la liberté / la positivité de s’exprimer. Seuls les personnages négatifs sont isolés dans le cadre, une manière pour Barry Jenkins de les affronter directement, et de les pointer du doigt. Ce cadre généreux est donc un regard qui embrasse les attitudes et la passion des personnages, qui se met à leur service lorsqu’ils investissent les espaces pour laisser éclater leurs sentiments. Le cinéaste embrasse aussi les regards, avec d’incroyables cadres frontaux lors d’échanges entre Tish et Fonny, à la prison. Des moments passionnés et terriblement émouvants, réussissant à capter l’amour et la tristesse dans la frontalité des regards vers la caméra, pour toucher la distance où l’amour ne tient que par les mots et le regard.

Très loin de la dissertation que peut être parfois BLACKKKLANSMAN dans sa comédie poussive et recyclée, SI BEALE STREET POUVAIT PARLER observe simplement la beauté, saisit l’expérience du quotidien et de l’intime, capte l’essence du courage et de la détermination. C’est un film purement sensoriel et sensuel, par sa photographie éperdument élégante et imaginaire, où le film d’époque devient un monde de rêve qui célèbre en priorité l’espoir de personnages positifs. Et même si la structure narrative peut faire sortir du film plus d’une personnage, il ne faut pas oublier que Barry Jenkins nous invite d’abord au coeur d’un voyage. Celui qui côtoie l’espoir, le courage et la détermination à travers l’intime conviction. Il y a constamment un sentiment de désespoir, de devoir lutter contre l’ambiance tragique d’une société persécutrice, et donc de voyager dans un faux rêve. Mais ce cauchemar n’est pas formalisé par le film, se concentrant ainsi sur l’unique raison de s’accrocher : l’amour. C’est un film qui invite la croyance (celle dans le coeur et l’amour), jusqu’à filmer une gigantesque pièce abandonnée de manière à y imaginer un appartement. Entre le cadre généreux et la photographie sublime de James Laxton, Barry Jenkins fait vivre ses espaces et y imagine constamment une vie pleine d’amour et de sensualité.

Le grand point fort du film est d’éviter au maximum les situations de conflits, les espaces qui s’y prêtent sont alors rapidement quittés. Ainsi, Barry Jenkins se concentre sur des espaces qui projettent la célébration des sentiments et l’éloge de la détermination. Donc, au montage, SI BEALE STREET POUVAIT PARLER revient toujours à la beauté et utilise les ruptures de ton. Bien que la musique très jazzy et soul accompagne un peu trop (parfois) les différents tons et l’ambiance, Barry Jenkins arrive aussi à la faire incarner des émotions à plusieurs reprises. Peut-être trop présente, elle reste agréable et nostalgique. Elle correspond parfaitement à la mise en scène et l’esthétique des espaces, célébrant chaque instant de vie et d’amour possible. SI BEALE STREET POUVAIT PARLER est juste cela en fait : une célébration positive, mais pas aveugle, d’une envie de vivre et d’aimer. Mais au-delà de cette célébration positive et passionnée, Barry Jenkins nous offre une vraie proposition de cinéma, un langage cinématographique fort où la mise en scène et l’esthétique des espaces s’emploient à faire rêver les personnages.

SI BEALE STREET POUVAIT PARLER (If Beale Street could talk)
Réalisé par Barry Jenkins
Scénario de Barry Jenkins, d’après l’oeuvre de James Baldwin
Avec KiKi Layne, Stephan James, Regina King, Colman Domingo, Teyonah Parris, Michael Beach, Aunjanue Ellis, Ebony Obsidian, Dominique Thorne, Diego Luna, Finn Wittrock, Ed Skrein, Emily Rios, Pedro Pascal, Brian Tyree Henry
États-Unis
1h59
30 Janvier 2019

4 / 5