Petite Maman, de Céline Sciamma

Il n’y a pas que la maman du titre qui apparaît petite. Le film est assez court (72 minutes) et fonctionne sur une économie de moyens, une économie visuelle. PETITE MAMAN est minimaliste dans tout ce qu’il aborde, tel une curiosité rapide dans une filmographie bien fournie. Sous son aspect modique, le long-métrage est comme un rêve : ça passe très vite, on se souvient de quelques morceaux, que l’on rassemble pour constituer une petite histoire. La narration s’approche du conte, aussi bien destiné aux enfants qu’aux adultes, avec une grande tendresse qui se dégage pour chaque personnage. Sans rien dévoiler, le récit n’est pas un conte de fée ou une petite aventure insouciante. Il y a une vraie tragédie qui parcourt le récit, mais Céline Sciamma met l’accent sur l’enfance avec toute l’innocence et l’amusement qui vont avec. Même si le film est un conte à chaque moment, il n’oublie jamais d’être une ode à la relation mère/fille. Un lien complexe et mélancolique, sur lequel s’implantent la distance entre les âges, les responsabilités et la transmission / l’apprentissage.

PETITE MAMAN n’est pas seulement un regard sur l’enfance et une ode sur les relations mère/fille, car il puise également dans le rapport à la mort et à la maladie. Céline Sciamma n’est pas qu’une réalisatrice, elle est tout aussi reconnue pour être une scénariste à la plume très fine. On retrouve ici les multiples couches de lecture et de perception de son écriture. Très rapidement, le récit met de côté les souvenirs d’enfance et fige les espaces dans le temps, pour mieux les explorer comme un tunnel à traverser. Si le long-métrage est aussi délicat envers ses personnages et ses thématiques, c’est parce qu’il y a l’effet de la solitude qui finit par faire une rencontre. Sans chercher à comprendre cette rencontre, c’est pourtant un cinéma de symboliques qui se dresse ici. Malheureusement, et très rapidement, la mise en scène préfère les discours à l’expérience physique et sensorielle. Alors qu’il s’agit de mettre en scène des enfants, il y a un énorme manque de spontanéité. On voit que PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU et sa rigueur picturale est passé par là, au point que les deux jeunes filles s’échangent constamment des regards fixes dans leurs corps raidis.

Alors que ça prenait tout son sens dans le précédent film, où il était question de dresser un portrait (celui d’Adèle Haenel par Noémie Merlant), ici on voit la mise en scène à des kilomètres. C’est tellement calculé et millimétré, avec un manque flagrant de spontanéité, que PETITE MAMAN préfère penser la beauté et le rêve, plutôt que d’embrasser pleinement l’insouciance et la légèreté. Dans le jeu de rôle auquel se livrent les deux jeunes protagonistes, il s’agit davantage d’un symbole théorique que de la chair romanesque d’un envoûtement. Pourtant, il y a certaines intentions qui poussent les corps dans une « vérité » des sensations, notamment cette manière de s’accrocher à l’ambiguïté sans jamais déborder du périmètre du cadre. Parce que tout se joue dans l’instant, le reste est dans l’altérité. Une chose est sûre : le long-métrage vit ses instants à fond, permettant au côté fantastique de se mêler au minimalisme de l’esthétique. Dans sa durée réduite, le récit se concentre sur les mouvements qui permettent d’ouvrir les espaces aux jeunes protagonistes.

A cause de sa rigueur d’une mise en scène calculée, de son symbolisme trop marqué, PETITE MAMAN n’approfondit pas son expérience au-delà de l’ouverture des paysages. Dès qu’ils sont à la portée des personnages, ils deviennent aussitôt un lieu de questions et non un lieu de vie. A tel point qu’il faille attendre une bonne heure pour que la rêverie trouve chair, avec une virée silencieuse sur un lac, sur fond de musique synthpop… Dès lors qu’elles arrivent sur l’espace qui s’érige au milieu de ce lac, l’exploration est très vite limitée, et l’expérience se résume à s’asseoir pour contempler ce qu’il y a autour. Il y a constamment une dualité entre le mystère des souvenirs et la construction d’un avenir, mais c’est uniquement une ambiance volatile. Le nouveau long-métrage de Céline Sciamma est un beau reflet de l’imaginaire et des résidus de la jeunesse, mais qui regarde les enfants comme des adultes piégée dans le symbolisme de la pensée.


PETITE MAMAN ; Écrit et Réalisé par Céline Sciamma ; Avec Joséphine Sanz, Gabrielle Sanz, Nina Meurisse, Stéphane Varupenne, Margot Abascal ; France ; 1h12 ; Distribué par Pyramide Distribution ; Sortie le 2 Juin 2021