Para Minha Amada Morta

Écrit et Réalisé par Aly Muritiba.
Avec Fernando Alves Pinto, Mayana Neiva, Lourinelson Vladmir, Vinicius Sabbag, Giuly Biancato, Michelle Pucci.
Brésil. 110 minutes. Sortie inconnue.
Festival du Film d’Amiens 2015 – Compétition Longs-Métrages.

Le cinéaste brésilien revient après le documentaire « A GENTE » en 2013 avec un premier long-métrage de fiction. « PARA MINHA AMADA MORTA » se concentre sur Fernando, un homme qui prend soin seul de son fils Daniel, timide et sensible. Après la mort de sa femme Ana, Fernando se souvient de leur amour passé, en rassemblant les affaires de sa femme décédée. Un jour, il trouve une cassette vidéo qui va lui révéler un lourd secret. Il décidera alors de se confronter à ce secret, en essayant d’abord d’en retrouver la source.

Le contrepoint
Contrairement à A GENTE, où le geôlier et les coupables étaient directement dans une prison physique, ici il s’agit plutôt d’un contrepoint. En effet, désormais c’est le geôlier qui s’incruste chez le coupable. Il y a évidemment tout un temps pour installer la frustration et remettre en question les émotions du protagoniste. Mais ensuite, il arrive chez le coupable (on utilisera toujours ce terme pour éviter de spoiler l’élément central de l’intrigue) pour reprendre le contrôle de la situation. En sentant que tout lui échappe, il décide de prendre ses marques et s’établir physiquement là où loge le coupable.

Cet emprisonnement n’est alors plus tellement physique, même si le corps à corps et les confrontations (plutôt ce qui y ressemble) sont toujours présents mais dans la suggestion. Parce qu’ici, l’emprisonnement est avant tout psychologique. Le protagoniste crée une mauvaise ambiance autour de lui, dans chaque espace qu’il fréquente. De plus, il amène une tension dans chacune de ses intentions, provoquant une ambiguïté en lui et une méfiance chez le coupable. Parce que l’emprisonnement est psychologique, que le film peut prendre plusieurs libertés dans les rapports entre geôlier et coupable.

Notamment celle où la liberté est retrouvée par le geôlier, et non par le coupable. Parce que s’établir dans la demeure / propriété du coupable est un pas vers la libération morale et émotionnelle pour le protagoniste. Dans l’opposé, le coupable est coincé dans ce passé qui finira par le hanter définitivement. Les émotions vont s’inverser : le geôlier doit faire face au passé et finira par l’extraire, tandis que l’oubli du coupable va resurgir petit à petit en changeant son comportement.

L’ambiance lourde
C’est grâce à cela que l’ambiance sera rapidement lourde entre les deux hommes. Dans sa temporalité, le film étire cet emprisonnement psychologique et cette installation interminable du geôlier chez le coupable. Cet élément d’intrigue prend la plus grande partie du long-métrage, et le montage s’en joue à plusieurs reprises. Dans sa temporalité, le film alterne les instants tendus et les moments plus calmes. Telles des montagnes russes qui subissent pourtant une mise en scène très lissée et silencieuse. Les corps n’ont pas de grands mouvements, et les attitudes sont retenues au maximum.

Cette ambiance lourde est soumise à une esthétique de genres très appuyée. Dans sa lumière et ses couleurs, le film peut souvent faire penser à de l’horreur. Mais cette horreur qui ne cherche pas à faire peur, celle qui provoque l’angoisse et qui met mal à l’aise. En parallèle, le film a quelques beaux moments de suggestion d’une romance brisée. Sur certains cadrages, la lumière viendra absorber les sentiments des deux protagonistes masculins, pour n’en faire que des fantômes du passé. En évoquant l’angoisse du présent (la prison) et les fantômes du passé (la romance brisée), le film se tourne vers une forme de thriller sous acide très lent à prendre effet.

Le cadre des suppositions
Dans cette temporalité, le film doit donc combler avec des éléments de bouleversements possibles. Mais la narration du film est toujours cassée. Dans chaque nouvelle séquence, Aly Muritiba initie des attitudes qui laissent présager des changements dans le récit. Or, le cinéaste décidera de rompre ces éléments et de les laisser au stade de la suggestion. C’est là que le décor est un élément important : un canapé, une pelle, une voiture, une photographie, un chien, … sont autant d’idées qui vont initier des propos mais qui vont rester des suppositions.

Le spectateur est constamment manipulé par le cadre : on ne compte plus le nombre de plans-séquences qui se marient parfaitement à la temporalité. Ces longs plans sans coupure sont les marqueurs de l’ambiance lourde dans sa durée. Parce que le cadre explore la spontanéité des personnages, il capte aussi l’instantanéité de ceux-ci face à des éléments suggérés qui seront rompus. La mise en scène est remplie de ces suggestions qui naviguent entre les personnages : le geôlier agit ici comme une bille de flipper qui va heurter les sensations, les émotions et les attitudes d’autrui.

Pour cela, il faut remarquer la position des corps dans les plans. Ils utilisent les extrémités dans les plans moyens et les plans d’ensemble, et se concentrent au centre lors des plans rapprochés et des gros plans. Même si dans les deux cas, les plans-séquences sont choisis, il y a une certaine « perversité » des corps qui les utilisent comme des éléments de manipulation. Il y a une rigueur fascinante dans les attitudes des comédiens, qui les poussent à jouer le jeu de la suggestion dans le corps à corps. A chaque fois qu’une évolution est attendue dans les relations, elle est rompue quelques temps après. Finalement, les fantômes ne sont peut-être pas que dans le passé : ils hantent la prison psychologique pour la suggérer comme le lieu de libération.

4 / 5
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