On ment toujours à ceux qu’on aime

Le point de départ de cette comédie n’a absolument rien d’original : le mensonge, et une célibataire qui demande à son ex de se faire passer pour son mari. En plus de cela, l’ex est maintenant marié et a eu un enfant avec sa femme. Heureusement, Sandrine Dumas va plus loin que cela, et finit par comprendre que le mensonge ne suffit pas à tenir sa comédie sur la longueur. Au bout d’un démarrage assez laborieux, malgré l’énergie folle de Monia Chokri, le film prend la direction du spleen cocasse et léger. Dans le film, le mensonge est ce qui permet de construire la fiction, et le spleen les fait revenir à la réalité des relations et de la vie. Les personnages authentiques font entièrement partie de ce spleen, car c’est leur rattachement à leur réalité qui provoque la bienveillance du regard. L’authenticité évite soigneusement les illusions, transformant alors les rêves (qui pourraient s’allier au mensonge) en voyage fantasque.

Il y a alors la belle idée de filmer en scope, qui permet de faire entrer et ressortir le romanesque facilement. Tout se joue donc dans la mise en scène, dans les relations entre les personnages. Parce qu’il s’agit bien plus qu’un voyage fantasque, ON MENT TOUJOURS À CEUX QU’ON AIME est un voyage sentimental. Il n’y a donc pas que l’imaginaire, mais il y a le regard chaleureux et poétique qui ne veut que le bien des personnages. Le mensonge permet de faire durer le voyage fantasque, mais Sandrine Dumas finit par se concentrer de plus en plus sur l’atmosphère enthousiaste et complexe qui gravite autour du mensonge. Celui-ci devient petit à petit qu’un prétexte pour rassembler des personnages, pour s’écarter d’une réalité bien trop pesante. Laissant de côté la vie parisienne où chaque jour se ressemble, ce voyage offre la possibilité d’imaginer un autre monde, celui où la poésie permet de passer outre le mensonge et la mélancolie. De Paris à la vaste campagne, Sandrine Dumas met en scène des attitudes qui partent de la nervosité pour tendre vers l’apaisement. Cependant, malgré les interprétations très sensibles de Fionnula Flanagan et de Marthe Keller, on pourra regretter que celle de Jérémie Elkaïm ne soit pas trop poussée : son personnage est tellement limité dans le caractère et l’imaginaire, que l’acteur n’a pas une grande palette d’expressions à offrir. Surtout que la mise en scène est déjà surchargée, avec beaucoup trop de mouvements dans tous les sens. Même si l’on comprend vite l’idée de rapprochement et de tendresse, la poésie romanesque s’essouffle progressivement à cause des nombreux mouvements qui dessinent trop les contours de la comédie, laissant le spleen dans l’ambiance.

Cela est également caractérisé dans une écriture assez chaotique : le passage trop hésitant de la comédie au spleen, où les deux ne se connectent que par le mensonge. Toutefois, le film se dote d’une esthétique intéressante, sans pour autant être significative. L’esthétique accompagne les mouvements des personnages, et témoigne des regards mélancoliques. Le fantasque et le spleen n’apparaissent que très peu dans la forme, qui privilégie la liberté, l’énergie et l’échange de la parole. Même si le film n’a pas de réelle identité esthétique, restant très classique, le cadre permet à la mise en scène de se développer et de montrer toutes les nuances selon les personnages. Mais surtout, le cadre laisse les espaces respirer et s’exprimer. Entre l’illusion complexe de la réalité parisienne, la campagne s’oppose dans une dualité photographique. Le cadre capte toute l’immensité des possibilités de bonheur de la campagne, par de nombreux plans fixes, qu’ils soient des plans moyens ou larges. A la campagne, rares sont les plans serrés, afin de chercher ces espaces qui permettent de retrouver une beauté. Le scope ouvre les espaces aux personnages, les couleurs et la lumière les accueillent pour leur proposer un voyage qui crée une alternative à une réalité décevante. Cependant, on reprochera que ce voyage ne propose pas autre chose que de la fantaisie (bien que très chaleureuse), et ne prend pas le risque d’entrer pleinement dans une idée de transmission entre générations. Ainsi, avec un voyage assez fermé sur lui-même, le montage est bien trop explicatif : le film indique trop souvent les lieux et ne les laisse pas se découvrir, il y a bien trop de découpages lors de moments où la dramaturgie du mensonge ré-apparaît, et les plans fixes laissent trop le mouvement prendre le pas sur l’ambiance. Et au final, on a une conclusion absolument sur-écrite qui manie le larmoyant avec de grosses ficelles.


ON MENT TOUJOURS À CEUX QU’ON AIME
Réalisé par Sandrine Dumas
Scénario de Sandrine Dumas, Natalia Reyes, Hélène Angel
Avec Monia Chokri, Jérémie Elkaïm, Fionnula Flanagan, Marthe Keller
France
1h27
6 Mars 2019

3 / 5