Notre Petite Soeur

Écrit et Réalisé par Hirokazu Kore-Eda.
Avec Haruka Ayase, Masami Nagasawa, Kaho, Suzu Hirose, Ryo Kase, Ryohei Suzuki, Takafumi Ikeda, Kentaro Sakaguchi, Oshiro Maeda.
Japon. 125 minutes. Sortie française le 28 Octobre 2015.

Le nouveau film de Kore-Eda est à l’instar de ses précédents : un ton léger s’empare de son récit, allant jusqu’à rendre sa narration classique. Mais il s’agit d’un classicisme glorieux, pouvant être qualifié de radieux, parce qu’il illumine des jeunes femmes. Dans son long-métrage, le cinéaste japonais adopte un regard amoureux et empathique sur ses personnages féminins. Ainsi, la question de la famille est explorée dans les relations entre eux-mêmes. Le regard se porte sur les agissements les uns avec les autres, puis simultanément les uns envers les autres.

Un mélodrame dans l’intimité
Le film n’est pas tellement un feel-good-movie car il touche aux émotions des personnages. Il va chercher à dénouer les complexes intérieurs de ses jeunes femmes. C’est ici que le long-métrage devient un mélodrame, et très rapidement. Parce que dès la scène de l’enterrement de leur père, les protagonistes connaissent la proximité des corps. Partout où elles sont ensemble, elles sont proches l’une de l’autre. Cette proximité permanente renforce leurs liens affectifs, étant donné que la famille est le lien central qui les unis (c’est la jeune Suzu qui est guide durant l’exposition, et ensuite ce sont les trois sœurs qui prennent la benjamine sous leurs ailes). Le mélodrame du film ne s’arrête pas à mise en scène des corps, car il y a une petite touche d’humour de temps à autres. Parce qu’il ne s’agit pas d’être profondément dramatique ou de frôler la philosophie, il s’agit de laisser les personnages dans une certaine autonomie qui leur permet de se détendre.

Pour cela, Hirokazu Kore-Eda filme beaucoup de l’intimité des protagonistes. A travers de nombreuses ellipses, le long-métrage explore le caractère des personnages. Le film n’a nul besoin d’une exposition traditionnelle pour présenter ses protagonistes, ils se développent tout au long de l’oeuvre. L’intimité que capte le cinéaste japonais est celle qui cause les attitudes du quotidien, comment les habitudes forgent les relations entre les membres d’une famille. Parce qu’elles sont complices, elles approchent au plus près du naturalisme. A plusieurs moments, c’est comme si le film a des allures de documentaire : il s’agit d’un cadre qui embrasse les gestes les plus anodins des personnages.

Une douceur intemporelle et pleine de vie
Pour être plus précis, il est possible de qualifier ce mélodrame comme un portrait qui travaille plusieurs angles. Le premier serait la douceur, parce que le mélodrame n’a aucune mélancolie ni tragédie ni quel qu’autre bouleversement. Telle une chronique, la caméra se veut tendre avec les personnages : c’est que l’intimité est souvent très calme et sereine, comme si rien ne pouvait jamais alterer le quotidien. Même quand il s’agit de problèmes (rencontrés par les personnages secondaires par exemple) ou de conflit avec la mère des trois sœurs adultes, la douceur se complète d’un optimisme incessant : les personnages rient, gambadent, se querellent pour mieux se réconcilier, cuisinent l’une pour l’autre, participent à un feu d’artifices, etc.

Avec ses ellipses, le film explore plusieurs segments de l’intimité des personnages. De cette manière, le doux portrait mélodramatique proposé n’a pas de bornes temporelles. Le long-métrage se déroule sur environ un an, mais cela n’est suggéré que deux fois dans les dialogues. La fluidité des ellipses permet au film de ne jamais délimiter ses actions dans le temps, et d’en faire une œuvre presque abstraite. Rien n’est vraiment expliqué et donc réellement montré. Tout se déroule de manière délicate, comme une autonomie propre chez chaque personnage. La mise en scène est transparente, d’où l’effet de naturalisme qui se remarque à plusieurs endroits.

Peu importe la durée dans laquelle s’inscrivent les scènes, le film aborde un même ton : celui de l’énergie communicative. Peu importe les situations dans lesquelles les protagonistes s’inscrivent (même dans les conflits), elles sont pleine de vie. Il s’agit d’un dynamisme plutôt calme, mais il y a une joie de vivre incontestable : les comédiennes sont toujours souriantes, les corps ne sont jamais raides mais constamment en mouvements. Puis, il y a un faux creux dans les situations : même si le récit ne montre que des personnages mangeant ou marchant, il se passe toujours quelque chose sur les visages, dans l’allure de se poser, dans la proximité des corps, etc.

Épuration des images
C’est ainsi que le film connait une réelle épuration des images. Telle une discrétion qui prend du recul sur les personnages : les comédiennes possèdent une certaine liberté dans leur jeu. Des performances gracieuses qui vont de paire avec le découpage : dans le montage, les ellipses sont tout aussi discrètes et permettent au classicisme de la forme d’être regardé très facilement. Il s’agit d’un regard presque poétique, car les images sont comme des petites attentions romanesques envers les liens fraternels entre les sœurs.

Alors que ces attentions sont aussi tendres dans l’épuration, il faut noter la qualité indéniable du hors-champ. En effet, les éléments dirigeant les actions et la proximité des corps ne sont pratiquement jamais dans le cadre perçu. La question des parents est l’élément central du long-métrage et pourtant, l’un meurt dès l’exposition et l’autre n’apparait que lors de deux scènes. Ensuite, les amis et le travail n’apparaissent que de temps à autres, pour marquer des temps morts dans l’intimité. Ce hors-champ permet de regarder la vie menée par les personnages comme une poésie radieuse de la chaleur humaine, en toute discrétion et avec plein d’amour.

4 / 5