Near Death Experience

Écrit et Réalisé par Benoit Delepine et Gustave Kervern. Avec Michel Houellebecq. 85 minutes. France. Sortie française le 10 Septembre 2014.

<< Paul, un employé sur une plateforme téléphonique, est en plein burn-out. Un vendredi 13, la chronique du journal télévisé sur ce jour particulier lui apparaît comme un signal pour passer à l’acte. Décidé à concrétiser son geste, il s’enfuit dans la montagne où il va vivre une expérience unique. >>

Il est étrange de voir le duo Delepine/Kervern à la tête de ce film après LE GRAND SOIR. Ce-dernier s’était axé sur la comédie comme approche du thème de la dépression. Quand on a Albert Dupontel et Benoit Poelvoorde au casting, difficile de faire autre chose qu’une comédie. Le film était très agréable, très énergique et prenait des risques. Ici, avec leur titre qui raconte toute l’intrigue dont la langue anglaise est inutile, le duo de réalisateurs se positionnent dans le drame. Toujours dans le thème de la dépression, mais vu d’une autre manière. On pourrait noter plusieurs points communs entre ce film et LE GRAND SOIR. Mais ce n’est dans ma politique de le faire.

Par contre, il faut bien parler de la fuite, de cette façon dont le personnage principal a l’action de quitter ses responsabilités quotidiennes. Mais avant de foncer dans l’isolement du personnage, Delepine et Kervern parlent de son mal-être, qui se révélera être beaucoup plus formel que théorique. Dans le texte, le film se joue de faux semblants, où le personnage de Michel Houellebecq cache son jeu à ses proches. Dans la forme, on ne voit que le visage de Houellebecq, jamais ceux de ses amis ou ceux de sa famille. Le cadre l’enferme comme s’il était prisonnier d’un étau. Bien qu’académique, ce cadrage est toutefois efficace. L’isolement individuel fonctionne dès le début, voulant juste préparer le spectateur à la suite.

Il y a quelque chose d’apocalyptique dans ce film, pas comme avec LE GRAND SOIR où on voyait la lumière au bout du tunnel. Par l’isolement constant du personnage, la mise en scène fait en sorte qu’il soit un être solitaire parmi une communauté. Que ce soit physiquement ou dans l’esprit, le personnage de Houellebecq vit la fin de son monde à lui. Ce n’est pas un ras-le-bol du monde, non plus une pression au travail qui entrainera un suicide, mais une simple dépression qui le met en marge de tout. Houellebecq est en plein vagabondage au bord de ce monde qui lui échappe désormais.

Ce personnage est peut-être déprimé, dans son costume de cycliste qui ne cesse d’errer, mais il sait également être drôle. Par quelques touches de burlesque, le duo de réalisateurs n’ont rien perdu de leur humour noir. Au ton burlesque minimaliste, cela n’empêche pas d’en retirer une sensation évidente, au bout de seulement quelques minutes. Il y a dans ce film quelque chose de la tragédie humaine grecque. Celle où l’homme est directement confronté à ses pires démons, pour affronter la mort. Comme un sentiment d’irréversibilité à travers ce film, où l’issue de l’errance est déjà scellée. Il n’y a qu’à écouter la voix qu’entend le personnage de Houellebecq : son heure est programmée, mais il doit encore attendre, souffrir.

Cette souffrance s’effectue à travers une sorte de survival métaphysique. On voit rarement ces deux termes ensemble, mais Delepine et Kervern les associe en même temps que leur burlesque et leur tragédie humaine (la dépression face à la mort). Rien que dans les positions du corps de Houellebecq, il y a toute la métaphysique incarnée. Sa place n’est pas assurée, et il se met à s’interroger sur de nombreuses choses par rapport à soi-même. Avec leurs multiples gros plans ou plans rapprochés lors des monologues, Delepine et Kervern laissent avant tout Houellebecq face à des névroses. Autrement, l’acteur déambule dans un espace à double fonction. Dans cette montagne, Houellebecq jouera, dansera, marchera des heures, etc… Mai aussi, Houellebecq se livrera à des cailloux, devra affronter la météo, aura des fulgurances de retour à l’état sauvage, etc… Avec ce désert au pied d’une montagne, le film décrit cet espace comme aussi bien austère que libérateur ; donc un espace qui contribue à la dépression du personnage, mais qui contribue aussi à son défoulement.

Le film pourrait alors être qualifié de poème morbide, pour ce personnage qui navigue de scène en scène comme il navigue entre austérité (exemple de la nourriture qu’il cherche) et libération (exemple du trou dans lequel il tombe). Mais ces sauts intempestifs entre ces deux tons empêche au lyrisme de décoller. Car Delepine et Kervern sont dans un cinéma modeste, celui qui fait du spleen un élément de portrait pour un personnage (qui pourrait être universel). Sauf que ce spleen, malgré toute l’ironie burlesque et la tendresse dont il fait preuve, est trop désincarné. Houellebecq est trop isolé pour avoir de vraies contraintes à sa vie, à son objectif. A force de trop isoler leur personnage, Delepine et Kervern oublient que la société est toujours présente autour de nous. De n’importe quelle forme.

En parlant de forme, Delepine et Kervern ont choisi le minimalisme, pour miser davantage sur la mise en scène. Encore plus, c’est Houellebecq qui porte tout le film à bout de bras, avec ses névroses et ses déambulations. Par les flous qui apparaissent dans chaque plan, par les couleurs laides et la lumière qui n’apporte rien, le duo de réalisateurs sont : soit fainéants, soit dans l’incarnation formelle de l’état d’esprit du personnage. Avec incongruité radicale de leur forme, les deux réalisateurs pourraient très bien se réclamer un côté expérimental de leur film. Avec leurs échelles étranges, leur esthétique horrible et leurs mouvements de caméra trompeurs : il faut croire que le film suit la fuite du personnage, comme pour se détacher d’une manière extrême d’un style trop commun.

3 / 5
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