Morris From America, choc culturel avec la vieille Europe

Champs-Elysées Film Festival / Compétition

Écrit et Réalisé par Chad Hartigan
Avec Markees Christmas, Craig Robinson, Carla Juri, Jakub Gierszal, Lina Keller
Etats-Unis / Allemagne
90 minutes
2016

Quand un adolescent noir déménage en Allemagne avec son père célibataire, il doit surmonter le choc culturel et un coup de foudre pour une fille rebelle, le tout en rêvant de devenir une star du hip-hop.

Le film démarre sur une dynamique particulière : le voyage mélangé à la culture (ici, le hip-hop). Les premières séquences sont ainsi : mélange de rêve, de complicité et d’humour. Le père et le fils est le fil qui semble pouvoir rompre à tout moment, tant la tension des espaces est trop influente pour le jeune protagoniste. Craig Robinson est égal à lui-même, grand gaillard plein d’ironie et d’auto-dérision, comme dans la récente sitcom MR ROBINSON. A ses côtés, le jeune Markees Christmas, impressionnant d’énergie et de fougue : ce sont ces deux éléments qui guident le montage du long-métrage.

Parce que tout au long de l’intrigue, il s’agit de la confrontation de deux cultures, de deux mondes. Comme le cinéaste, à moitié américain et à moitié européen, il met en opposition ces deux territoires. Mais il les confronte avec les sentiments, avec les sensations : c’est le fantasme d’une culture qui dicte les attitudes des personnages. Sauf que le jeune Morris est en marge d’une culture dans laquelle il doit s’intégrer, mais Chad Hartigan réussit le difficile : imposer une culture extérieure dans un espace déjà plein. Le film vit au rythme du monde de Morris, par sa fougue et son état d’esprit venu d’Amérique. En parallèle, le film touche la surface d’un rêve et d’un monde qui aurait beaucoup à offrir. En vérité, le long-métrage traverse ce monde de temps en temps, mais pour mieux en ressortir quelques minutes après.

L’aveuglement apporte énormément dans ce film, car la présence de la fille rebelle est l’exact contraire de Morris. Les opposés s’attirent serait un bien bon slogan pour ce récit, mais il y a quelque chose de sauvage et dangereux là-dedans. Dans chaque scène où ils s’aventurent ensemble, c’est comme s’ils sont au bord d’une falaise : elle serait prête à sauter et il y penserait fortement car il est trop attiré par elle. Comme si cette fille rebelle fait apparaître la turbulence de l’adolescence : elle serait le moteur de la puberté, la source du déclin enfantin, la disparition de l’innocence.

A partir de cette idée, le film met en scène une forme de folie passagère qui prend de plus en plus d’ampleur à chaque nouvelle scène d’aventure. Les deux plus marquantes et significatives sont deux rencontres : celle où Morris arrive dans la fête sous le pont et que Katrin l’asperge d’eau sur le jean au niveau de l’entrejambe, puis celle lorsqu’ils dansent au milieu d’une pièce lors d’une autre soirée. Cette distinction entre les deux personnalités, cette évolution de leur relation, est la folie pure que tend à explorer le film. Esthétiquement très intéressant quand il tient à distancier son protagoniste du monde allemand et quand il change sa palette de couleurs, le film crée une extraction du sentiment amoureux pour mieux bouleverser sa dynamique de la fougue. Dès lors que l’esthétique entre dans le fantasme, le long-métrage passe aussitôt de la fougue à la folie.

Le soucis est que le film perd de son humour de départ, et perd aussi le moteur de sa fougue du sympathique début. Le montage perd de sa vigueur et de son intérêt au moment où le récit décide d’appuyer la tragédie sentimentale : lorsque Morris finit par décider de suivre Katrin dans chacun(e) de ses mouvements, de ses aventures, le long-métrage perd sa dynamique et s’installe dans le drame pur. Craig Robinson est aussitôt réduit à jouer le père à l’écart qui s’inquiète et qui devient le parent stricte (dommage, pour un tel acteur) : la rupture père/fils n’est pas aboutie dans les espaces car le montage ne laisse voir que Morris. Le centre de la jeunesse aurait mérité d’être davantage creusé, tandis que la pseudo enseignante de langue allemande est réduite à un copinage dont la solidité n’a aucun impact (on revient directement à la sévérité du père). Parce qu’il s’agit d’explorer constamment la relation tourbillonnante entre Morris et Katrin, ses hauts et ses bas, ses joies et ses peines : une montagne russe qui oublie la séparation des deux mondes.

3.5 / 5