Midnight Runner, de Hannes Baumgartner

Pour son premier long-métrage, Hannes Baumgartner s’est intéressé à un fait réel, un fait divers que lui et son co-scénariste Stefan Staub ont librement modifié pour les biens de la fiction (et du respect des personnes impliquées par les événements). Comme l’explique le cinéaste, certaines scènes sont de véritables faits, et d’autres sont de purs ajouts fictionnels. Ce geste d’adaptation libre, peu importe la source, a toujours permis à un film de s’affranchir du réel (le fait divers, le roman, la pièce, etc…) pour créer son propre regard et son propre matériel. MIDNIGHT RUNNER pourra en perturber plus d’un-e, parce qu’il se détache légèrement du réel pour construire son propre champ de perception du fait divers. Le long-métrage n’est ni un film d’enquête, ni un thriller, ni un polar, ni une romance, ni un biopic. Le point de vue narratif est uniquement celui de Jonas, ce coureur de fond célébré sportivement, qui a pourtant un lourd et sombre secret de violence. Peu importe ce qu’il fait et les conséquences de ses actes, la caméra suit toujours Jonas dans son quotidien. Mais Hannes Baumgartner ne se colle pas au réel, il place sa caméra dans une pure observation de celle-ci, pour que le langage de la fiction cinématographique nous permette d’interroger une forme d’ambiguïté.

Le cadre ne cherche pas des réponses à cette ambiguïté, mais à explorer la complexité de son protagoniste en décomposant chaque attitude dans le temps du récit. Le cadre ne cherche pas à comprendre instantanément chaque acte, mais à explorer des pistes de réflexion, à observer pour essayer d’assembler des morceaux de puzzle. Dans cette pure observation, sans parti pris pour ou contre son protagoniste, le cadre transcende le réel et le dépasse en se focalisant éperdument sur Jonas, afin de poursuivre le mystère qui entoure l’imaginaire de celui-ci. Tout paraît soudain dans les actes de Jonas, même lorsque le cadre l’observe progressivement dans son retranchement personnel volontaire. Donc, par la voie de l’observation, MIDNIGHT RUNNER tend à présenter des nuances, à faire une étude approfondie d’un personnage, sans jamais lui coller une étiquette ou le pointer du doigt. Il s’agit de mettre des images sur ce que contient intimement le protagoniste. Par l’observation, et par l’affranchissement du réel pour étudier la complexité de Jonas, Hannes Baumgartner se colle au détachement de son personnage. Alors que Jonas s’enferme dans la mélancolie pour supprimer toute pression extérieure (ce qui le pousse à la violence), le cadre est donc la position de centrer Jonas au milieu de plusieurs issues possibles.

MIDNIGHT RUNNER est comme une solitude du coureur de fond, où Jonas étouffe dans un environnement qui lui paraît désenchanté. Souvent les yeux baissés, le corps immobilisé face aux questions et pressions extérieures, Jonas ne trouve plus sa place et se déplace tel un fantôme. Il cherche alors une pulsion, lui permettant de lâcher prise. L’insolence, la violence et le délit sont ces pulsions, face aux sensations de vide et de désillusions. Même le cadre, qui dans ces moments d’étouffement, se rapproche du visage de Jonas, emprisonnant son corps (l’écran faisant parfois office de 4e mur) ou le collant contre des murs. Le cadre crée toujours des barrières empêchant une liberté de mouvements, renforçant le détachement volontaire et la solitude du protagoniste. Même lorsque Jonas court, le cadre est frontal : il court sans horizon, à la recherche d’une liberté de plus en plus insaisissable, où le réel désenchanté laisse place à un imaginaire solitaire violent. Il est cependant dommage, que lorsque la violence augmente en intensité et que la solitude se renforce, le cadre n’arrive pas à s’émanciper de sa propre observation qui paraît de plus en plus figée.

À force d’observer Jonas dans son détachement, MIDNIGHT RUNNER ne trouve son rythme que dans sa propre bulle traumatique. Dès lors qu’il s’agit d’avoir des interactions, l’observation se contente de jouer la carte du mystère, plutôt que de présenter les émotions contradictoires du protagoniste. Hannes Baumgartner explore avec justesse la complexité de son personnage, avec notamment toutes ces pistes et grilles de lecture possibles dans les errances sociales de Jonas. Mais le cinéaste filme un personnage qui s’abandonne complètement à cette complexité, reproduisant perpétuellement les mêmes formes, pour finir par avoir des images qui sont elles-mêmes détachées de l’escalade de tension et de violence qui sont narrées. Plus le film progresse vers une violence accrue, plus l’esthétique s’en détache pour s’enfermer dans l’observation permanente, comme si le cadre n’arrivait plus à saisir la proportion des attitudes de son protagoniste.


MIDNIGHT RUNNER (Der Läufer) ;
Dirigé par Hannes Baumgartner ;
Scénario de Hannes Baumgartner, Stefan Staub ;
Avec Max Hubacher, Annina Eulign, Sylvia Rohrer, Christophe Sermet, Saladin Dellers, Luna Wedler ;
Suisse ;
1h32 ;
Distribué par Tamasa Distribution ;
24 Juin 2020