Michel-Ange, d’Andrey Konchalovsky

Contre toute attente, ce film n'est pas exactement une biographie sur l'artiste Michel-Ange. Andrey Konchalovsky ne cherche pas à retracer la vie de l'artiste, ni même sa carrière.

Contre toute attente, ce film n’est pas exactement une biographie sur l’artiste Michel-Ange. Andrey Konchalovsky ne cherche pas à retracer la vie de l’artiste, ni même sa carrière. Si bien que le film parle très peu des œuvres qu’il a réalisé, puisque seul le plafond de la chapelle Sixtine est évoqué (sans être montré). Le cinéaste ne tend pas non plus à projeter le style esthétique de Michel-Ange dans l’esthétique de son film. Tout ce que raconte le long-métrage se déroule après le projet du plafond de la chapelle Sixtine. Dans cet après, il tombe dans la pauvreté et s’obstine à trouver du marbre pour réaliser le tombeau du pape Jules II qui vient de mourir. MICHEL-ANGE n’a donc rien d’un biopic traditionnel, mais se regarde comme une tranche de vie, comme une chronique à la durée limitée, qui ne cherche pas à résumer la personnalité de Michel-Ange, mais à explorer sa situation. Le récit est alors composé de plusieurs morceaux distincts, qui s’entrecroisent : Michel-Ange est pris entre deux familles (Della Rovere, Medicis) avec deux contrats, il cherche éperdument à obtenir ce marbre, il est confronté à l’avidité et la cruauté de sa famille, etc.

Pour parvenir à ce regard, Audrey Konchalovsky ouvre le cadre pour capter tout ce qui compose et tout ce qui se déroule dans l’environnement où se trouve le protagoniste. Michel-Ange est presque un personnage pivot, qui n’a pas besoin d’énormément de profondeur, mais dont les obsessions et les attitudes permettent de découvrir tout le reste. Ainsi, la caméra suit Michel-Ange dans les espaces, pour ensuite (presque) le lâcher pour se concentrer sur l’ambiance qui règne. Une manière de placer le contexte avec le protagoniste, ce qui crée le mouvement, pour ensuite extraire l’influence des espaces sur les personnages. C’est à partir de ce principe que le cinéaste met en scène une dualité dans les espaces. À travers leur immensité peu accueillante, leur danger permanent, leur pauvreté irradiante, les espaces sont comme des monstres. Mais des monstres à dompter, à s’approprier, à confronter pour pouvoir survivre. Ce sont des espaces qui écrasent les personnages et révèlent la souffrance des corps dans une époque remplie de misère. Cependant, les espaces ne sont pas uniquement monstrueux : Andrey Konchalovsky prend aussi soin de ne pas accentuer l’accablement sur ses personnages, grâce au regard passionné des personnages pour leurs activités. La caméra est constamment dans cette dualité entre la monstruosité de l’espace violent et beauté de l’espace humain.

Un film cruel mais sensible en même temps, où la souffrance est partout dans les attitudes des corps, mais avec des espaces qui respirent dans des plans larges. Chaque situation donne lieu à des réactions vives de la part des personnages (principaux ou figurants), en prenant le temp de distinguer la parole de la réaction du corps. Chaque image ressemble, en quelque sorte, à une peinture organique. Le cadre capte le caractère individuel de chaque événement, comme si le film est constamment une opposition entre l’esprit et le corps, entre l’idée et le ressenti. Dans cette ambiance austère, il y a toujours une parole pour créer une rupture avec ce que subissent les corps. Organique également parce que la parole et le corps sont plongés dans des espaces qui projettent les émotions. Les intérieurs très obscurs renferment la peur, la colère, l’affrontement. Tandis que les extérieurs lumineux, bien que dans des couleurs froides, expriment la dimension obsessionnelle et envoûtante des personnages. Une mise en scène donc très portée sur le physique, entre la torture quotidienne (telle une approche de la mort) et l’abandon à l’obsession.

Malgré cela, le ton du film se repose essentiellement sur cette violence, qui est plus ou moins accentuée selon les espaces (intérieurs sombres ou extérieurs lumineux). Ainsi, les personnages crient énormément, plongeant le long-métrage dans une fureur pas toujours très utile. Parfois beaucoup trop théâtral, MICHEL-ANGE cherche d’abord à exprimer la fureur au lieu de chercher à la faire ressentir. Une violence qui devient progressivement une démesure dans la mise en scène, étouffant complètement toute cette recherche de poésie et de sensibilité dans l’humain. En conséquence, le rythme est très bancal et le récit s’étire, comme des tâtonnements entre plusieurs idées par le biais de multiples nœuds entre toutes les péripéties. Le mouvement devient alors chaotique, comme si la mise en scène se refuse d’évoluer et fait du sur-place. Malgré cela, le film tend parfois à basculer dans la fantaisie hallucinatoire. Même si les cris incessants sont très pénibles pour les oreilles et pour le ressenti, le cadre les utilise en plans fixes pour propulser les personnages et leurs regards dans leurs obsessions. Tels des corps à la poursuite des rêves que les paroles ne cessent de clamer. Sauf que le cadre s’affranchit petit à petit du réel, et ne fait vibrer ses personnages uniquement lorsqu’ils sont en proie à leur propre imaginaire. Cela crée une certaine distance entre le cadre et les espaces, l’un est une expression qui observe / témoigne, alors que l’autre est un geste pictural qui déploie sa diversité complexe. Les espaces sont comme un personnage supplémentaire que la mise en scène et le cadre n’arrivent pas à diriger, les laissant immobiles.


MICHEL-ANGE (Il peccato) ; Dirigé par Andrey Konchalovsky ; Scénario de Andrey Konchalovsky, Elena Kiseleva ; Avec Alberto Testone, Jakob Diehl, Francesco Gaudiello, Federico Vann, Glenn Blackhal, Massimo de Francovich ; Russie / Italie ; 2h10 ; Distribué par UFO Distribution ; 21 Octobre 2020