Mademoiselle Julie

Écrit et Réalisé par Liv Ullmann. Avec Jessica Chastain, Colin Farrell, Samantha Morton. 130 minutes. Etats-Unis. Sortie française le 10 Septembre 2014.

<< 1890, Irlande. Tandis que tout le monde célèbre la nuit des feux de la Saint Jean, Mademoiselle Julie et John, le valet de son père, se charment, se jaugent et se manipulent sous les yeux de Kathleen, la cuisinière du baron, jeune fiancée de John. Ce dernier convoite depuis de nombreuses années la comtesse, voyant en elle un moyen de monter dans l’échelle sociale. >>

Nous sommes loin de la virtuosité des travaux d’adaptation des cinéastes britanniques. Ici, Liv Ullmann est plus dans la théâtralité. Certaines personnes pensent qu’il y a un gouffre entre la mise en scène au théâtre et celle au cinéma. Certaines personnes pensent qu’il y a un grand écart entre les deux jeux d’acteurs. Certaines personnes pensent que le théâtre n’a rien à faire au cinéma. Il faut donc croire que ces personnes arrivent à cracher sur certaines oeuvres d’Alain Resnais. Désolant de ne pas s’ouvrir autant. Le cinéma, c’est tout de même un beau mélange de théâtre, photographie et peinture. Même André Bazin l’a dit. La théâtralité du film de Liv Ullmann n’est aucunement une tare. C’est un élément de sa mise en scène.

Dans la mise en scène de Liv Ullmann, la théâtralité est très caractérisée par la caméra. L’actrice, maintenant réalisatrice, pose sa caméra sous plusieurs angles, plusieurs échelles, plusieurs focales. Mais les placements de caméra n’ont aucune réelle signification. Il s’agit seulement de capter l’essentiel dans une scène. Quand la parole est prioritaire, Liv Ullmann use automatiquement de gros plans. Quand il s’agit de déplacements constants, les plans moyens et d’ensemble sont au rendez-vous. La forme du film est d’un académique saisissant. La caméra élimine toute approche formelle possible. Car, dans sa mise en scène, Liv Ullmann recherche surtout l’effet de tragédie (que l’on retrouve grâce au théâtre).

Son manque de recherche formelle a un grand impact négatif sur le rythme. Quelques sautes d’humeurs des personnages seront les seuls éléments du rythme. Sinon, les découpage et montage du film ne participent pas au rythme. De ce fait, le film contemple une linéarité qui s’essouffle, traine en longueur sur son sujet, jusqu’à même finir par le perdre. Cette lutte des classes, qui ne se tient que par les répliques, n’apparait clairement qu’au début (à l’arrivée de Colin Farrell) et à la fin (départ à la messe, retour du baron). Ce n’est pas assez, évidemment. Tout le reste, se concentre sur le jeu de séduction et de manipulation entre Chastain et Farrell.

Sauf que, dans ce qui leur est demandé, les acteurs sont éclatants. Et la mise en scène théâtrale leur rend également assez bien. Commencons par Jessica Chastain. Ses cheveux roux sont parfaits pour décrire une chaleur débordante qui sort de son personnage. Ce n’est pas du tout le plus important. Ce qui rend son personnage, et ainsi son jeu, intéressants, c’est la sculpture de son visage (également le cas pour Farrell). Ses yeux sont toujours au bord des larmes, ses lèvres tremblantes, ses mains qui recouvrent son visage en détresse, etc… Ensuite, il y a son corps qui fait la cohésion avec cette détresse. Avec sa robe qui tombe à l’épaule gauche, sa robe qui essuie la sol de toutes manières (délicatement quand elle marche, totalement quand elle rampe), sa provocation brûlante dans la première partie du film, etc…

De son côté, Colin Farrell construit aussi une sculpture de son visage. Avec sa mèche rebelle (d’abord dans le soulèvement contre sa supérieure, puis dans l’énervement), ses sourcils souvent froncés, ses paupières resserrées créant des plis sous ses yeux, ses mains tendues, etc… Son corps est tout de même moins à l’épreuve que celui de Chastain. Colin Farrell est moins dans la détresse que sa partenaire. Il est plutôt dans une sorte de perdition, errance entre coeur et raison. Il y a une réelle chorégraphie de ses mouvements. Tournant sans cesse autour de la table, allant d’une chambre à une autre, montant et descendant constamment les escaliers, etc…

Au-delà de la sculpture des visages et des corps, Liv Ullmann arrive à mélanger les ambiances dans ses séquences. Deux parties distinctes s’enchainent dans ce film. La première partie, plus longue, se déroule dans la soirée de la Saint-Jean. La seconde partie, est au petit matin du lendemain. Dans la première partie, le feu de la Saint-Jean se fait ressentir de loin. La flamme qui anime le jeu de séduction entre Chastain et Farrell est constamment présente. C’est au niveau de la lumière. Il n’y a qu’à regarder la disposition des bougies, toujours autour des acteurs. Mais surtout, la lumière installée sur Jessica Chastain. Sur une partie de son visage, sur une partie de son cou, etc… une couleur chaude vient se mélanger à sa peau, créant une couleur orange. Quant à lui, Colin Farrell tourne sans cesse entre les lumières. Comme un yo-yo qui touche alternativement la flamme de la tendresse (séduction) et la flamme de la colère (la manipulation).

La lumière vient accentuer les attitudes générales des trois acteurs. Certes, je n’ai pas encore parlé de Samantha Morton. Mais il y a une raison : son personnage est prisonnier du jeu de séduction/manipulation. Contrainte à rester dans sa chambre, elle est isolée de toute lumière et de toute chorégraphie. Cela n’empêche pas, qu’à chaque apparition/réplique des acteurs, il y a une brutalité qui s’installe. Comme si, ces jeux de séduction et manipulation les font suffoquer. Impossible de raisonner correctement, impossible de dévoiler ses sentiments sans avoir peur. Le huis-clos de la cuisine (avec quelques fulgurances dans les chambres et les escaliers) forme cette ambiance brutale, cruelle et brûlante entre les classes.

3.5 / 5
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