Lumières d’été

Jean-Gabriel Périot fait partie de ces cinéastes qui ont compris que l’exploration de la grande Histoire ne peut être objective, factuelle ou encore simplement informative. Il faut alors passer par le récit d’une petite histoire, plus intime et subjective. Déjà dans UNE JEUNESSE ALLEMANDE, la voix-off et le montage sondaient l’impact personnel des protagonistes. Dans LUMIÈRES D’ÉTÉ, J-G Périot continue dans ce principe : à travers le personnage pivot d’un cinéaste (la question de l’image, de la représentation), le film crée une déambulation spatiale de deux personnages. Tel un voyage au coeur des tourments. Parce que LUMIÈRES D’ÉTÉ n’est pas un film sur la bombe d’Hiroshima, n’est pas un film sur ses conséquences. C’est un film qui, à travers le pouvoir de l’image et son mystère de composition, il s’agit de connecter le passé et le présent.

Le lien est déjà explicite dans le titre, où J-G Périot travaille fortement sur la lumière. Dans la première séquence, lors du témoignage d’une survivante, la lumière est sombre pour ne faire ressortir que le visage et les vêtements du personnage féminin. Le décor arrière, d’un marron uni, témoigne de la souffrance. Mais surtout, ce témoignage presque face caméra avec le décor uni, laissent le spectateur visualiser les paroles. Comme si l’imagination du spectateur est invitée à reconstituer personnellement le passé. Après vingt minutes de témoignage, le film part dans une autre direction.

Après le souvenir douloureux du passé, le film tient à vivre dans le présent. Comme le dit si bien le cuisinier du restaurant : « Aujourd’hui, on vit une période de paix, personne ne se rappelle l’horreur de la guerre. Nous, on a survécu comme on a pu et aujourd’hui, on est encore ici. Ceux de votre âge ignorent ce qu’on a vécu pendant la guerre. Vous pouvez écouter et imaginer, puis oublier tout ce que vous venez d’apprendre.» Le film ne tend donc pas à parler de l’horreur de la guerre, il pleure le passé pour vivre le présent. Il s’agit, par les espaces explorés, de partir en voyage à travers la beauté de l’instant et des relations humaines, plutôt que de chercher à revivre le passé. Presque l’idée d’un anti film d’époque factuel, où les reconstitutions tentent d’explorer les sensations passées.

C’est bien pour ça que le cinéaste J-G Périot n’a utilisé que des images d’archives pour UNE JEUNESSE ALLEMANDE. Et ici, le cinéaste se tourne vers l’union affective du présent. Tel un film dramatique de Kiyoshi Kurosawa, LUMIÈRES D’ÉTÉ met en scène un espace disparu avec ses fantômes. Mais ce qui est montré, n’est autre que le trouble causé par cette absence. Le rôle de l’image est ici très important : en traversant le cadre dans chaque scène, les personnages construisent l’image d’un Hiroshima ré-inventé. A travers les images de la ville au XXIe siècle, l’hommage ne pouvait être plus beau. Car les images d’archives sont la douleur incarnée. Alors que la renaissance d’un espace permet de retrouver les sensations perdues, d’honorer les fantômes par la célébration de la vie, de la beauté et du souvenir.

LUMIÈRES D’ÉTÉ est alors un film très doux, tendre et poétique. Différentes couleurs se mélangent, la mise en scène est joyeuse, et le montage se rapproche du romanesque. Dans le ton employé, le film est proche de ceux de Hong Sangsoo, jouant ainsi sur les espaces pour créer les sensations, et travaillant sur les mots pour faire ressortir les émotions. Avec une caméra qui accompagne constamment les personnages, l’espace se recompose petit à petit, pour briser la frontière entre la fiction et la réalité. La mise en scène modeste permet au cinéaste de développer un chemin qui décrit une vie tranquille. Comme avec Kiyoshi Kurosawa, c’est un personnage que l’on découvre plus tard, qui devient le guide du récit et du montage.

L’ouverture romanesque s’effectue surtout à partir du moment où les personnages quittent l’espace troublant. Quittant les fantômes, le film part s’installer dans la poésie humaine. LUMIÈRES D’ÉTÉ a donc un chemin tout tracé, une suite logique dans la tendresse et la sensibilité : de la douleur via la témoignage, en passant par la renaissance d’un espace, pour finir vers la construction d’une famille. Avec ce parcours où le travail d’espaces se réduit à une maison familiale, J-G Périot élabore une transition : celle de l’horreur de la guerre vers l’humanité sensible, celle de la mort vers la vie, celle du souvenir morcelé (les archives) vers la beauté de la fiction. Un voyage initiatique pour la libération de l’esprit pour que la sincérité et la douceur chassent le passé, afin de s’ouvrir un avenir plus humain.

LUMIÈRES D’ÉTÉ de Jean-Gabriel Périot
Avec Yuzu Horie, Keiji Izumi, Akane Natsukawa, Hiroto Ogi, Mamako Yoneyama
France – 1h22 – 16 Août 2017

4 / 5