Los Silencios

Quand on sort de LOS SILENCIOS, il ne fait aucun doute que le film a toute sa place en festivals. Son sujet et sa forme sont calibrés pour émouvoir et sensibiliser les publics de festivals de films. Sans aucune musique, le film de Beatriz Seigner conte une fable humaine, en plein cœur d’une île amazonienne, à la frontière entre le Brésil, la Colombie et le Pérou. C’est l’histoire d’Amparo, mère de Nuria et Fabio, qui quitte son pays (la Colombie) pour fuir la guerre qui dure depuis une demi-décennie. Une guerre durant laquelle le père de famille a disparu. Dès lors, il est rapidement compréhensible que Beatriz Seigner explore le déchirement familial, le voyage et les affres de la guerre. Tout cela regroupé dans un même film, qui pourtant n’est pas très long. Mais les 85 minutes de LOS SILENCIOS suffisent à poser un problème de rythme. En effet, Beatriz Seigner joue la carte de la sensorialité à fond, au point de ne vouloir faire que cela. Pourtant, outre sa sensorialité criarde, le film a plein de qualités et de bonnes intentions.

Il y a la volonté de créer deux réalités, Beatriz Seigner montre à la fois le quotidien quasi documentaire et naturaliste des villageois (puisqu’elle a intégré de vrai-e-s villageois-es dans son casting), mais intègre une partie très surnaturelle. Dans le récit et dans l’image, se confondent une réalité perceptible et une réalité magique imperceptible. La cinéaste a choisi de les faire cohabiter. Même si, progressivement, les deux réalités finissent par se détacher, il y une dimension fantastique qui plane au sein du naturalisme. Il suffit de voir, par exemple, comment certains comportements sont troublants, ou même l’arrivée progressive des couleurs fluorescentes. Parce que Beatriz Seigner ne représente pas la mort avec des couleurs sombres, mais adapte la culture locale, où la mort est une manifestation visuelle sensible et rayonnante, et surtout pas effrayante et obscure.

LOS SILENCIOS joue donc la carte du voyage initiatique, où les « victimes vivantes » (les survivants qui ont perdu un être cher) doivent apprendre à vivre avec un manque, à vivre avec les fantômes du passé, à vivre avec une vie brisée. Beatriz Seigner se fait alors témoin d’une expérience de vie nouvelle, celle où les réfugiés doivent construire une nouvelle réalité et un nouveau quotidien. Mais tout en vivant avec la réminiscence des fantômes, dans une image lumineuse et sensible. Tout simplement parce que la cinéaste n’hésite jamais à poser longuement sa caméra, à écouter les échanges de parole, et à regarder les un-e-s écouter les autres. LOS SILENCIOS se pose alors la question de la survie chez les réfugiés. Pour cela, Beatriz Seigner évite soigneusement le misérabilisme, et préfère laisser ses images décortiquer les espaces et les attitudes. Avec peu de travellings (les seuls sont vraiment lents), et un montage qui travaille le temps qui passe, la cinéaste capte le rapport entre la terre et les humain-e-s. Un lien où des réfugiés doivent s’intégrer et s’approprier à une nouvelle terre, qui se caractérise par une initiation – celle où la question organique (les nombreux bruitages) est primordiale.

Sauf que le regard de Beatriz Seigner efface progressivement l’exploration, et devient de plus en plus un regard témoin qui étire l’aspect organique. Certes la cinéaste a la capacité de mettre en scène brillamment les espaces dans lesquels elle tourne. Mais la mise en scène de ces espaces tourne rapidement à la répétition, à l’absence de nuance. Les seules évolutions appartiennent au caractère photographique du film, et ces distinctions de couleurs (avec le fluo) qui apparaissent. Toutefois, le cadre ne parvient jamais à sortir de la seule définition qu’il donne à ces espaces : celle où l’île est un lieu mystérieux, à la culture imprégnée de fantastique, et qui accueille des réfugiés. LOS SILENCIOS est enfermé dans la sensorialité des premières séquences, l’étire continuellement jusqu’à la fin, qui ne provoque qu’une représentation de la nature, et jamais une atmosphère multiple.


LOS SILENCIOS
Écrit et Réalisé par Beatriz Seigner
Avec Marleyda Soto, Enrique Diaz, Maria Paula Tabares Peña, Adolfo Savilvino, Astrid Fernanda Lopez Martinez
Brésil, Colombie, France
1h25
3 Avril 2019

3 / 5