Loin de la foule déchaînée

Réalisé par Thomas Vinterberg. Écrit par David Nicholls. Avec Carey Mulligan, Matthias Schoenaerts, Michael Sheen, Tom Sturridge, Juno Temple, Jessica Barden. Grande-Bretagne. 120 minutes. Sortie française le 3 juin 2015.

Le nouveau film de Thomas Vinterberg se propose comme une quête intime. Celle d’une femme qui veut s’émanciper, ne pas répondre aux règles sociales habituelles. En cela, l’intrigue va inverser les situations de l’exposition. Le fermier aisé va tout perdre, et la demoiselle pauvre va hériter d’une grande et belle ferme. Les conditions sociales de chaque personnage sont le moteur des bouleversements de l’intrigue. La quête intime de la protagoniste est un constant va et vient : une errance entre plusieurs prétendants, et une indécision perpétuelle où l’avancée est aveugle.

Cependant, il y a une certaine sècheresse sociale dans ce film. Des personnages fortunés, froids et distants, qui dictent l’approche du long-métrage sur les rangs sociaux. Il n’y a ni bons ou mauvais personnages : l’écart séparant la maitresse, ses amis aristocrates, et les ouvriers, est surligné constamment. Pourtant, la mise en scène de Thomas Vinterberg est imprégnée d’un esprit conservateur. Ceci se remarque notamment dans la froideur des relation entre les maitres et les employés. De plus, chaque attitude est dans la retenue maximum. Que ce soit dans les face à face entre la protagoniste et ses prétendants, ou entre les maitres et les employés. Comme si chaque geste pouvait chambouler l’aise trouvée.

Dans la mise en scène, il y a une grande volonté de marier la tendresse (du mélodrame) à une forme de lyrisme. Cette idée se compose dans deux points : le texte et les expressions. Sauf que, dans les deux cas, le texte se retrouve être trop récité. Tel un poème dit de façon monotone par un élève qui rêverait d’être ailleurs. Puis, les expressions physiques des acteurs sont minimales. Qu’on me lapide si ce film représente le cinéma anglais. La mise en scène de ce film n’est qu’une fuite de la prise de risque. Tout comme la protagoniste essaie, avec ses errances permanentes, de fuir la tentation. Dans ce long-métrage, tout la mise en scène tourne autour d’un détail : la manière dont les personnages fonctionnent en autonomie tout en se confondant dans la masse.

Si les rangs sociaux sont autant explicites, c’est que le film se déroule à l’époque victorienne. Où les classes étaient très significatives et soulignées. Le long-métrage de Thomas Vinterberg se positionne alors en tant que tableau d’une époque, et portraits de rangs sociaux. Cette époque est très marquée par les couleurs et les décors. Les grands espaces possédés par les fortunés, et les endroits sombres et étroits où vivent les ouvriers. C’est dans une scénographie épatante que l’impressionnisme prend tout son sens. La lumière, les couleurs et les contrastes sont appuyés : cela permet de distinguer une époque qui n’existe plus. Telle une émancipation qui est davantage limitée dans le temps, où chaque lieu et chaque instant comptent pour sa propre situation sociale.

Pour cadrer cette esthétique, plusieurs plans d’ensemble interviennent dans le montage. De façon presque régulière, ces plans sont de la contemplation pure. Au début du film, les travellings permettent d’observer doucement les paysages, et d’y amener les personnages. Au fil du film, cela se perdra. Aussi au début du film, le champ/contre-champ sert à scruter l’inconnu, à découvrir des points de vue différents. Plus le récit avance, plus cette idée va disparaitre. Et les changements de plans, dans des dialogues, n’auront plus tellement de sens. Si ce n’est pour tenter d’imposer un personnage envers un autre. Le problème est que ce sont uniquement des fulgurances. Le film en connaitra quelques unes, mais le découpage sera très négligé. Avec le tableau impressionniste élaboré, il est dommage de ne pas avoir perçu le potentiel du découpage.

FAR FROM THE MADDING CROWD, c’est un peu le prétendu calme en marge de la ville. La province devient le lieu de tous les désirs, de toutes les conquêtes. Loin de toute pression dans le collectif, les rangs sociaux se mélangent ici pour créer l’individualité au sein du monde. Le film se présente alors comme un mélodrame très tourmenté. Les désirs sont des fantasmes, et la raison domine le coeur. L’isolation du lieu de l’action permet de concentrer tous les tourments dans une prétendue liberté. Libres de choix, mais pourtant la foule et sa folie envahissent les esprits des personnages. Sauf que, à partir du passage du mariage de la protagoniste avec l’un de ses trois prétendants, le film devient moins passionné. Tout devient évident, attendu et encore plus classique. La tragédie dévore à petits feux le mélodrame, pour mettre un lent coup de couteau dans le ventre de l’émancipation.

Perte de la passion, dans une narration bien trop classique. Cet académisme se fait ressentir durant toute la durée du long-métrage. Deux heures de convenance narrative, où les situations s’enchainent dans des ellipses pénibles. Le film, malgré son unité esthétique et sa mise en scène parfois agréable, n’échappe pas à la description par épisodes. Les moments intimes sont des petites scènes arrachées par-ci, par-là. Le récit est construit, dans sa première partie (où la passion est toujours présente), comme un catalogue d’instants intimes. Dans sa seconde partie (où la passion a disparu au profit de la tragédie pure), le récit augmente le rythme crescendo. Un équilibre entre les deux parties du film, mais qui ne suffit pas à créer un dynamisme suffisant, pour faire décoller le mélodrame et l’émancipation – les interrogations restent en surface, et l’isolation ne permet pas de creuser bien profond.

3 / 5