L’instant infini

Nous avons à cœur à Onlike, et nous aimons beaucoup défendre le cinéma indépendant, et surtout les films qui peuvent passer inaperçus, diffusés sur quelques copies dans toute la France. Des films qui seront difficiles à voir en dehors de la capitale, mais des films qui ont de réelles ambitions et de vraies propositions. L’INSTANT INFINI de Douglas Beer fait partie de ces films là, qui a une sortie assez confidentielle mais qui devrait être vu. Le postulat est tout simple, car il s’agit d’un couple qui souhaite repartir de zéro, changer de vie, tenter leur chance autre part, suite au décès de leur petite fille. C’est presque un film qui parle du rêve d’ailleurs, sinon que le rêve est plutôt ici un traumatisme. Cet ailleurs n’est pas l’accès à un rêve, mais le possible accès à une renaissance, à une guérison. Dans cette ferme isolée qu’il/elle louent pour deux semaines, Marie et Léo ont pourtant deux manières différentes de trouver refuge dans leur deuil.

Cet isolement, ce besoin d’un nouveau départ nous est présenté dès le début alors que Marie & Léo tombent en panne de voiture en pleine route. Dès ce moment, le cinéaste Douglas Beer nous fait comprendre, par sa mise en scène, que le couple n’est plus très uni et part même à la dérive. Léo se met en danger, et Marie refuse toutes les propositions de celui-ci, allant jusqu’à décider de rejoindre la nouvelle habitation à pieds. C’est un couple en pleine dérive, en pleine rupture sentimentale et qui tient encore par on-ne-sait quel petit bout de ficelle. Le couple existe toujours, comme un infime espoir qu’il/elle se touchent à nouveau, sensuellement et autrement que dans la contradiction. Même le cadre crée la distance, avec plusieurs champ/contre-champ et à placer les corps aux extrémités des plans. Il y a toujours une séparation physique entre les deux, que ce soit dans l’utilisation de chambres séparées, dans le petit espace entre les coussins lorsqu’il/elle sont dans le même lit, et surtout avec le hors-champ.

Parce que L’INSTANT INFINI met davantage Marie en avant, Léo étant bien souvent dans le hors-champ en allant chercher du travail à Genève. Hors, la narration se déroule uniquement dans la ferme que loue le couple. Ce qui intéresse Douglas Beer, ce n’est pas la fuite du deuil (comme peut le faire Léo) mais davantage la confrontation du deuil (comme le fait Marie). Ainsi, le cadre reste dans l’intimité, mais une intimité abîmée et décomposée en mouvements forcés. Les deux se forcent à discuter, se forcent à se rapprocher, alors que l’atmosphère montre clairement qu’il n’y a plus d’essence. La photographie joue une grand part dans cette intention, alimentant d’abord l’espoir avec beaucoup de lumières extérieures qui viennent éclaircir les intérieurs et mettre en valeur les corps. Puis, la photographie tend vers de plus en plus d’obscurité, vers le macabre, et la mise en scène prend un tournant en invoquant et tutoyant la mort à plusieurs reprises.

Il est question d’images et de mise en scène qui travaillent à la fois le corps et la psychologie des personnages. Les corps se vident, se soumettent au regard et jugement d’autrui. Tandis que les esprits des personnages sont perdus, errant entre le douloureux passé et l’incertitude de l’avenir. Entre les deux, le présent est un creux, une plongée dans l’angoisse et la psychologie de la solitude. Cette sensation est très marquée par le huis-clos, car cette ferme est à la fois une plongée dans l’inconnu mais également une sorte de transition à durée indéterminée. C’est là que L’INSTANT INFINI prend toute son ampleur : dans cette photographie qui bascule dans l’obscurité, la psychologie angoissante des personnages ne marque aucune frontière vis-à-vis de la perte d’identité. Comme si leur solitude les poussaient à se poser dans un entre-deux, un temps entre deux états, des mouvements et des images entre deux possibilités d’ailleurs : entre la vie et la mort.


L’INSTANT INFINI
Réalisation, Scénario Douglas Beer
Casting Jennifer Rihouey, Damien Dorsaz, Mathieu Chardet, Maria Mettral
Pays Suisse, États-Unis
Distribution Bobine Films
Durée 1h30
Sortie 6 Novembre 2019

3.5 / 5