Lettres au Père Jacob, drame intimiste en pleine forêt

Réalisé par Klaus Härö.
Scénario de Jaana Makkonen et Klaus Härö.
Avec Kaarina Hazard, Heikki Nousiainen, Jukka Keinonen.
Finlande.
74 minutes.
Sortie le 9 Mars 2016.

Condamnée à perpétuité pour meurtre, Leila est mystérieusement libérée après seulement douze ans. Envoyée auprès d’un vieux prêtre aveugle et isolé pour être sa nouvelle assistante, elle devra répondre à l’abondant courrier qu’il reçoit chaque jour. Sauf que Leila est indifférente à tout cela, elle va alors tenter de profiter de la cécité de son hôte… Ceci entraîne une presque confrontation entre les deux protagonistes, puisqu’elle sera unilatérale. D’un côté, il y a la lente stratégie de Leila qui veut se sortir de ce boulot le plus rapidement possible, et imagine une combine pour le gâcher. De l’autre, il y a le père Jacob qui vit son quotidien telle une chronique passive.

Rien n’est sincèrement accueillant dans cette situation pour Leila, puisqu’elle était prisonnière et se retrouve à travailler pour un prêtre. Mais surtout, elle se retrouve à devoir vivre isolée à la campagne (à tel point que le facteur prend une longue route à vélo pour déposer le courrier), entourée de verdure mal taillée, dans une maison en bois qui ressemble davantage à une grande cabane abandonnée (de l’extérieur). A l’intérieur, ce n’est guère mieux : le décor est minimal pour être en accord avec la vie restrictive et paisible du père Jacob. Il y a le toit qui fuit, la chambre est pas très confortable et la seule eau disponible est dans un puits (bien qu’elle ne soit pas très potable visuellement).

Les nombreux plans fixes démontrent bien cette austérité du quotidien dans lequel s’installe Leila. Sauf que ce n’est pas le lieu qui va tout chambouler, mais l’idée que s’en font les personnages. Lorsque le courrier se fait absent pendant plusieurs jours de suite, que l’église se retrouve vide pendant une messe, qu’une table bien dressée n’a aucun invité, que les alentours sont trop calmes, etc : la tragédie vient de ce qui est hors-champ. C’est l’absence d’une idée toute faite qui pèse lourd sur le moral des protagonistes. L’égoïsme de l’une va finir par rencontrer la tendresse de l’autre, ainsi les plans fixes vont présenter quelques mouvements, et les personnages vont petit à petit se réunir dans les plans.

Ce rapprochement se fait lentement, car le réalisateur prend le soin d’alimenter la complexité de Leila et la mélancolie du père Jacob. En faisant évoluer son long-métrage comme une chronique, il sème quelques graines au fur et à mesure. C’est peut-être le gros soucis du film, parce qu’il ne prétend jamais à sortir de cette bulle de la « confrontation ». Le personnage secondaire du facteur est fort intéressant, parce qu’il intervient comme un élément perturbateur dans le quotidien des protagonistes : c’est à partir de lui que tout peut changer. Il est alors dommage de ne pas y voir une poignée d’autres personnages à la même importance, au lieu de constamment jouer du miroir entre l’avidité (puis la compassion) de Leila et la tendresse (puis la mélancolie) du père Jacob.

Il faut remarquer comment cette « confrontation » se joue davantage sur la parole que sur les attitudes. Parce que le réalisateur choisit beaucoup de champ / contre-champ et des comportements répétitifs, les dialogues deviennent l’élément central de la relation entre Leila et le père Jacob. On voit rapidement qu’il y a un manque évident de moyens pour parsemer le film de plusieurs moments sensoriels. Le peu d’instants présents sont à chérir, car ils prouvent la douceur de la chronique. Ainsi, le réalisateur n’essaie pas d’aller plus loin, il mise davantage sur la parole. Et il y a bien raison, parce que ces dialogues est la parfaite mise en abîme des lettres que le père Jacob reçoit.

Tout cela avant d’en arriver au vrai but de cette « confrontation » : comment un être opposé peut apporter un autre regard sur nos actions. La complexité de Leila sera percée et révélera la souffrance qui se cache derrière cette ombre indifférente. L’idéalisation du père Jacob va trouver la mélancolie mais surtout que la grâce n’est pas nécessairement là où la croit. Où comment l’aveuglement se termine par un éclairement de la réalité brutale. L’imaginaire et le hors-champ représentent tout l’idéal des deux protagonistes : les lettres de personnes inconnues empilées sous le lit du père Jacob, mais également la fuite de cette austérité par Leila. Sauf que ces désirs seront engloutis et finiront dans l’espoir par la compassion humaine (qui est sans doute la meilleure marque de sensorialité).

3.5 / 5