L’été des poissons volants

Réalisé par Marcela Said. Écrit par Julio Rojas et Marcela Said. Avec Francisca Walker, Gregory Cohen, Roberto Cayuqueo, Bastian Bodenhofer, Paola Lattus, Maria Izquierdo, Emilia Lara. 90 minutes. Chili. Sortie française le 23 Avril 2014.

<< Manena est une adolescente déterminée et la fille adorée de Pancho. Ce riche Chilien, grand propriétaire foncier, ne consacre ses vacances qu’à une seule obsession : l’invasion de sa lagune artificielle par des carpes. Alors qu’il recourt à des méthodes de plus en plus extrêmes, Manena connaît cet été ses premiers émois et déboires amoureux – et découvre un monde qui existe silencieusement dans l’ombre du sien : celui des travailleurs indiens Mapuches qui revendiquent l’accès aux terres, et s’opposent à son père. >>

Premier long-métrage pour la chilienne Marcela Said. Le cinéma sud-américain se porte bien, ce film en est une n-ième preuve depuis quelques années. Fidèle à lui-même, le cinéma sud-américain nous dresse plusieurs portraits d’un contexte socio-politique. Pour mieux distinguer les classes, Marcela Said place ses personnages en période de vacances estivales. Ainsi, elle souligne plus facilement la séparation entre le riche propriétaire et les travailleurs. Pour mieux gérer la condition entre tous ces personnages (en parlant notamment de racisme et d’exploitation salariale), Marcela Said nous offre un huis-clos. Tout le film se déroule dans une belle propriété de vacances, dans les bois, au bord d’un lac.

La réalisatrice nous filme ce huis-clos comme un tableau. De là, le film n’est composé que de plans fixes. Sans mouvements de caméra explicites, la réalisatrice se permet des métaphores constantes. La picturalité de la forme donne matière à réflexion. Car chaque situation, chaque attitude des personnages, sont dans le non-dit. La fixité des plans permet au film de s’inscrire dans la suggestion. Ainsi, Marcela Said n’est pas dans la dénonciation totale. Les causes et les faits sont souvent implicites, voire même dans la retenue. Elle ne cherche pas à faire un film politique, social à tout prix. Elle parle d’abord de personnages. Ils passent en priorité sur le contexte, qui n’est que la toile où est peinte le récit.

A noter que cette toile est très portée sur l’impressionniste. C’est alors pas pour rien que Marcela Said a choisi une propriété de vacances estivales. Cela lui permet de jouer sur les décors et ses multiples couleurs. On sent le désir de créer un équilibre esthétique dans chaque plan. Le but n’étant pas de créer une vive séparation entre les personnages riches et les autres. Il s’agit de les mettre au même niveau. De cette manière, Marcela Said confronte chaque personnage aux mêmes situations, et donc aux mêmes idées. De plus, il faut signaler la manière de Marcela Said de créer une forte focalisation sur la lumière. Et évidemment, le découpage reflète ce côté impressionniste. Avec des points de vue qui changent souvent, pratiquement à chaque changement de plan. On peut aisément passer du point de vue à un autre, en fonction du rang social des personnages, ceci en seulement deux ou trois plans.

Le seul point noir qui fait de l’ombre à cette esthétique, c’est l’utilisation de la caméra. J’entend par là d’avoir constamment la caméra à l’épaule. Quand on est dans l’idée des points de vue, cela ne dérange pas du tout. Bien au contraire, cela alimente la frontalité et le réalisme des situations. Afin d’être au plus proche des personnages, et de leurs préoccupations. Par contre, quand Marcela Said cherche son esthétique basée sur la lumière, ou quand elle cherche à jouer sur les couleurs des paysages : ça devient plus pénible. Les tremblements (même si en majorité légers) de la caméra ne permettent pas de rationaliser les espaces comme des possibles sources de dramaturgie. Les espaces ont l’unique intérêt de porter le regard impressionniste sur la mise au même niveau des personnages.

Ceci est comblé par le découpage, plus précisément dans l’échelle des plans. Dans son film, Marcela Said propose une intéressante relation entre les personnages et les espaces. Quand il s’agit de se porter sur des émotions fortes, ou sur une sensation instantanée, les plans sont plus rapprochés. Les gros plans et les plans rapprochés jusqu’à la poitrine sont de mise. D’un autre côté, le paysage sera en fusion avec les acteurs. Les personnages auront un grand rôle dans la composition impressionniste des paysages. Leurs placements sont rigoureux et significatifs. Quand les acteurs doivent jouer avec le corps des autres, quand les personnages sont rassemblés autour d’une idée qui les connectent, quand il y a des différends entre des personnages dans une scène : les plans se font plus large. Entre les plans américains jusqu’aux plans d’ensemble, les couleurs de l’esthétique vont participer à l’approche portée sur les personnages.

Des personnages qui sont notamment liés par une grande idée de mise en scène. Leurs corps et leurs esprits. Dans cette différence des classes et ces conflits constants, on sent que les personnages peuvent rapidement perdre pied. La pression psychologique viendra plusieurs fois s’inviter dans le récit. Sur les visages des acteurs, cela se voit. Les personnages sont comme perdus dans ce huis-clos, où les problèmes foisonnent. Comme une errance qui va dicter les situations qui sont à venir. Ces esprits des personnages sont reflétés dans la chorégraphie des corps. Quand on remarque la retenue qui est intégrée dans la forme, dans sa manière de suggérer et d’utiliser des métaphores, Marcela Said l’applique aux corps des acteurs. Les personnages sont de plus en plus tendus. Leurs déplacements et leurs mouvements sont rigides. Loin d’avoir un balai dans le cul, comme le dirait l’expression, les personnages sont plutôt dans l’appréhension des situations. Comme si ces situations les dépassent, et que la fatalité des événements est la puissante conséquence des conflits entre les classes.

Marcela Said en délivrera un message durant tout le film. Car cette histoire est également composée d’un récit initiatique. La protagoniste est jeune. Et durant ces vacances estivales, elle connaitra ses premières sensations dues à l’amour : le bonheur et les déboires. A côté de cela, elle s’apercevra de la réalité des adultes. Tout le contexte socio-politique sera vu par elle. De ce fait, le film peut vite devenir sombre. Mais le dosage est très juste. La réalisatrice chilienne évite d’être trop dans la noirceur de son intrigue, épure un maximum la violence et constitue son texte comme une fable sociale. Finalement, il faut croire que l’espoir réside dans les nouvelles générations.

4 / 5