Les Séminaristes, de Ivan Ostrochovsky

En Tchécoslovaquie au début des 1980, après un long trajet sur une route étroite, une voiture s’arrête sous un pont. L’ambiance est sombre, le silence règne malgré le passage d’un train en haut du cadre. A l’arrière de la voiture, des hommes jettent un corps qui était dans le coffre. Le ton est donné, car LES SÉMINARISTES parle du régime communiste muselant l’Eglise à cette époque. Au cœur du récit, deux jeunes séminaristes doivent choisir entre la soumission à la police, ou de rester fidèle à leurs convictions même si elles pourraient leur coûter la vie. Le moindre acte de protestation ou de contestation est vu comme une transgression, qui est systématiquement punie et aussitôt impardonnable. Les apprentis séminaristes sont dans l’illusion d’une vie que pourtant leur promet la foi. Calmes mais soumis aux règles, ils sont tous vêtus d’un même habit et leurs gestes se confondent et se répètent. L’image veut suggérer cette soumission des corps et des esprits à un pouvoir invisible. Alors que la mise en scène cherche à étudier une forme de détérioration des corps, le cadre veut faire croire à une force qui manipule et écrase les personnages sans être palpable ou concret.

Le long-métrage se veut ténébreux dans son esthétique, mais il est surtout très maniériste. Il suffit de voir les plans aériens de la cour, pour forcer l’idée d’enfermement et d’isolement, alors que c’est la définition même de l’espace. Une manière d’appuyer et forcer les sensations, comme avec tous ces silences qui s’enchaînent. Certes le contexte ne donne pas lieu à beaucoup de paroles, parce que c’est dans les règles de l’apprentissage des jeunes personnages. Cependant, le silence devient rapidement le déguisement de la souffrance, de la soumission… LES SÉMINARISTES cherche beaucoup trop à forcer les sensations et le choc de son sujet, tout en employant le noir & blanc comme la nostalgie de films de patrimoine. Plutôt que de mettre le noir & blanc totalement au service du thriller qui se construit, il s’agit d’une démonstration de maîtrise, qui veut faire croire à une profondeur avec une performance extatique. C’est lourd, mais il est impossible de nier que la photographie est très soignée, avec un grand soin apporté à la composition des cadres. Chaque plan est à la fois une peinture minimaliste mais aussi le spectre de la violence autoritaire. Le monochrome et la position de la caméra sont la traduction de l’influence de la brutalité.

Dans ce format 4/3 qui garantit un espace en forme d’étau qui se resserre sur les personnages, écransant leurs mouvements, il y a pourtant une distance qui se crée avec la mise en scène. Très rigoureuse et attentiste, elle cherche absolument le trouble là où le monochrome suffit à lui-même. A tel point que les personnages deviennent eux-mêmes des effets de stylisation, ils deviennent des incarnations esthétiques de la soumission, du ton presque ténébreux. Les corps ne vivent pas vraiment dans ce spectre, ils sont de plus en plus l’illustration matérielle de la violence. Ainsi, LES SÉMINARISTES ne s’intéresse que très peu à ses personnages, à leur caractère, leur personnalité et leur manière de gérer une telle oppression. Le film s’intéresse bien davantage à en faire des cobayes pour une étude historique. Ce n’est jamais une exploration de sensations, mais une exploration de sujet. Pourtant, la caméra existe pour creuser des émotions, pour être le moteur d’une curiosité aux côtés des corps. Sauf qu’ici, la caméra transmet l’aveuglement qui règne au sein du séminaire, laissant tout dans la suggestion et le déguisement. Le film ne devenant que l’illusion de lui-même.


LES SÉMINARISTES ; Réalisé par Ivan Ostrochovsky ; Écrit par Rebecca Lenkiewicz, Marek Lescak, Ivan Ostrochovsky ; Avec Samuel Skyva, Samuel Polakovic, Vald Ivanov, Valdimir Strnisko, Milan Mikulcik, Tomas Turek, Vladimir Zboron, Martin Sulik ; Slovaquie / Roumanie / République Tchèque / Irlande ; 1h18; Distribué par ARP Selection ; Sortie le 2 Juin 2021