Les derniers parisiens, le premier film de La Rumeur

Reda Kateb enchaîne les films avec une régularité impressionnante depuis quelques années, et semble placer au coeur de ses projets des collaborations rapprochées entre auteurs et ses camarades comédien(ne)s. Ne tirant jamais l’affiche à lui, celui qui incarne pourtant le cinéma français actuel nous emmène ici au coeur du quartier de Pigalle, dans une histoire tissée par le groupe La Rumeur et accompagné par Slimane Dazi. Des vieux potes qui ne se sont pas oubliés ; voilà l’un des secrets qui fait fonctionner ces DERNIERS PARISIENS.

Un ancien taulard en liberté conditionnelle se bat pour enfin monter un business légitime, sous le regard critique de son grand frère et face aux arnaqueurs en tous genres qui pourraient le faire retomber. Les musiciens-réalisateurs de la Rumeur, Hamé et Ekoué, développent ici leur filmographie issue de plusieurs courts métrages, et déjà incarnés par Kateb et Dazi. Ce dernier se voit ici offrir un rôle d’importance et d’émotion face à une tête d’affiche impériale, une vraie récompense pour celui que l’on connaît comme un solide second couteau du cinéma français.

LES DERNIERS PARISIENS, c’est aussi ce quartier de Pigalle, l’un des derniers vrais endroits de Paris (dixit ses auteurs), un quartier vivant et en pleine métamorphose. Promenant leur caméra à hauteur d’hommes, Hamé et Ekoué se veulent mobile, coloré. S’efforçant de dépeindre au mieux la vivacité de ces quelques rues qu’ils connaissent par coeur, ils dépeignent Pigalle comme un lieu de fraternité et d’entraide. Finalement la menace viendra de l’extérieur mais peu importe : les gens de Pigalle pourront toujours compter les uns sur les autres.

Bonus : critique de Teddy

Tout juste sorti de prison, Nas revient dans son quartier, Pigalle, où il retrouve ses amis et son grand frère Arezki, patron du bar Le Prestige. Nas est décidé à se refaire un nom et Le Prestige pourrait bien lui servir de tremplin…

Le titre du film est à trois définitions : il y a d’abord un amour certain pour la ville de Paris, que ce soit par sa fonction de ville festive ou de mettre en valeur des espaces communs. La deuxième définition serait le portrait bienveillant de personnages qui tentent de se dissocier d’une masse écrasante, d’une bulle formatée. Puis, l’ultime définition est un mouvement social, une renaissance sincère qui utilise le medium caméra pour échapper du cadre pré-définit.

Bien au-delà du titre évocateur, le long-métrage est un battement de cœur qui ne lâche pas sa cadence. Parce qu’il y a l’espoir (voir les magnifiques jeux de lumière, contrastés entre les intérieurs et les extérieurs) et la persévérance, le protagoniste s’embarque dans une passion intemporelle. Jamais dans l’obsession, il s’agit de retrouver une dignité et une conviction personnelle. Même si le film referme chaque porte par l’illusion, le récit se présente quand même comme une spirale qui saisit le protagoniste.

Le cadre permet de réaliser cette idée : avec un rythme effréné au montage, l’esthétique accompagne toujours Reda Kateb au point de créer un élan. La caméra sert de lance de fer au protagoniste, le confrontant à plusieurs situations / choix / obstacles. Comme si le protagoniste doit foncer avec exaltation et ardeur. Parce que le film se base beaucoup sur l’imagination et le fantasme envers les espaces. Il ne s’agit absolument pas de transformer Paris, mais tout comme le protagoniste, de lui donner un autre visage, de voir l’autre visage. A plusieurs instants furtifs, le cadre permet à Reda Kateb de se plonger dans le fantasme. Il est pourtant dommage que ces instants soient rares, cela ne permet jamais au protagoniste de s’échapper émotionnellement.

Parce que le long-métrage est tout aussi cruel que bienveillant. Malgré la confrontation permanente des corps (surtout dans le bar), il y a un mouvement continu et répétitif. Ce n’est pas une tare ici, parce qu’il est question de toujours revenir vers le bar. Alors que le socle fraternel est rompu, le protagoniste se repose sur son ambition envers le bar. Ce bar est un lieu de perdition, d’où l’imprégnation totale des silhouettes dans l’espace. La mise en scène propose de lier définitivement les corps à ce bar, afin d’essayer d’effacer la fatalité et la détermination (ce que la musique fait très bien).

Que ce soit dans la mise en scène ou dans l’esthétique, il faut noter l’opposition explicite entre le jour et la nuit. Réalisme cruel dans l’un, face au fantasme et la folie dans l’autre. Entre les deux, il y a le travail sur le temps : étiré au possible, le film laisse planer le doute et l’inaccessibilité sur son protagoniste. A plusieurs reprises, le long-métrage semble être contenu dans un minuteur, où les tensions fraternelles finiront par exploser. Mais c’est aussi le point faible du film, qui s’étire trop longtemps sur un seul fait. Trop souvent dans l’attente, le long-métrage s’enlise plusieurs fois dans le bavardage creux.

LES DERNIERS PARISIENS de Hamé et Ekoué.
Avec Reda Kateb, Slimane Dazi, Mélanie Laurent, Yassine Azzouz, Lola Dewaere, Constantine Attia, Bakary Keita, Willy L’Barge
France / 105 minutes / 22 Février 2017

3.5 / 5