Le père de Nafi, de Mamadou Dia

Sénégal, de nos jours. Dans une petite ville, les habitants se promènent dans les rues de terre et de poussière. Dans ces espaces délabrés et grands ouverts, ils ont tous un même mode de vie, dont l’imam du village Tierno en est le centre. Dès les premières minutes, le cadre montre un mariage dans un espace vide. Comme si cette cérémonie est ce qui fait vivre le paysage, mais surtout qui représente le rassemblement de toute une communauté. Pourtant, c’est bien un mariage (ou plutôt les fiançailles) qui viennent perturber la vie de ce village. Tierno et son frère Ousmane s’opposent sur l’union de leurs enfants Nafi et Tokara. Dans cette querelle, ce sont deux visions du monde qui s’affrontent, que ce soit à travers la religion ou la politique, l’une modérée et l’autre radicale. Entre cet affrontement fraternel, la guerre du pouvoir, l’écart des générations (Nafi et Tokara ont d’autres envies, mais sont laissés à l’écart des décisions), c’est l’histoire d’un amour qui cherche sa voie dans un univers menacé par la violence. Tierno, le père de Nafi donc, est comme le symbole de ces événements : personnage malade, au centre de la communauté, il est l’image de la société dans laquelle il vit. Tierno ne tient pas toujours debout, a du mal à respirer, et est vite dépassé par la violence qui s’installe.

Tout comme lui, chaque espace de ce village est contaminé progressivement par la violence. D’abord présentés comme des lieux paisibles, où la vie suit son cours, où les personnages échangent sur leur quotidien et leurs désirs. Ce sont des lieux qui sont présentés dans leur fonction primaire (foyer familial, lieu de culte, etc), dans ce qu’ils apportent aux personnages. Mais ces espaces deviennent des sources de tension et de violence. Mamadou Dia ballade sa caméra dans plusieurs endroits de ce village pour introduire l’attachement des personnages à ceux-ci. Puis, lorsque deux scènes font basculer le récit et l’ambiance (une concernant la famille, une concernant la politique), c’est la violence qui s’invite dans l’intimité, qui perturbe le cocon familial. Alors que LE PERE DE NAFI était jusque là une observation du quotidien et des coutumes de ce village, il bascule dans la tragédie. Sauf que Mamadou Dia n’en fait pas un film accablant pour autant, il prend le parti d’équilibrer le contenu de ses images. Jamais dans la dichotomie facile intimité/violence, il préfère la nuance en chacun des personnages. Si bien que la menace est parsemée dans les espaces selon les personnages présents, tout en conservant la beauté de ce village.

Parce que LE PERE DE NAFI n’est pas seulement un regard sur la montée de l’extrémisme religieux, ou sur l’avidité du pouvoir politique. Le film est surtout un regard sur ce qui est amené à disparaître. Il y a la beauté des traditions, ainsi que les liens familiaux. Chaque mouvement de mise en scène qui ajoute de la violence est une poussée dans un chemin qui se réduit. Plus la menace prend de l’ampleur, plus le village semble de refermer sur lui-même. Tel un western, il s’agit d’un duel pour diriger l’espace. Les regards se croisent de plus en plus, les corps se figent les uns face aux autres, comme des provocations ou des avertissements. Ainsi, plus le récit progresse, plus les espaces se vident et le silence règne. Tel cet enfant qui ne peut plus s’amuser à courir avec son pneu. Tel un corps qui perd sa liberté de mouvement, pour devenir prisonnier de la menace qui dévore chaque espace. Il ne faut pas oublier que Mamadou Dia a dû faire face à une économie de moyens, ce qui renforce l’impact de sa mise en scène frontale, où les corps s’imposent et d’autres doivent s’effacer. Une frontalité synonyme d’honnêteté, où les émotions sont brutes, en filmant toujours près des visages. Des plans aussi serrés, ce n’est pas une exclusion du paysage. Au contraire, ce sont des personnages piégés dans un cadre qui redéfinit la fonction de l’espace : sa beauté n’est plus la paisibilité d’une communauté, mais la fièvre d’un conflit.

Une manière de toujours être dans l’immédiateté, pour saisir au plus près des corps la montée de la violence et la progression de la noirceur dans l’ambiance. Ce n’est pas pour rien que les jeunes Nafi et Tokara ne sont jamais au centre du conflit, mais toujours dans la marge. Le temps de l’amour et de la beauté sont suspendus, pour étudier cette transition où la violence cherche à prendre le relai. Même dans les moments de nuits, LE PERE DE NAFI passe d’une ambiance festive et onirique, à quelque chose de plus agressif. Cet enfermement du village sur lui-même, c’est une chute vers la folie. Il n’est pas anodin que le film montre au début un mariage, pour se diriger vers des funérailles. Dans cette immédiateté, l’amour et les corps disparaissent, pour laisser place à des idées et une violence psychologique. Au plus près des visages, Mamadou Dia expose la malveillance, examine la peur, observe la violence pour étudier l’importance de la famille et de l’amour. Tierno est à l’image du village beaucoup délabré, mais les corps se détachent petit à petit de la beauté de l’espace. Alors que des personnages cherchent justement un sentiment d’appartenance (ce qui provoque la violence), absolument chacun d’entre eux sont dans une fracture avec la beauté et l’amour – des sensations qui s’éloignent dans le hors-champ. LE PERE DE NAFI ne cherche pas des réponses ou des solutions à cette violence, mais il a la qualité de montrer que celle-ci ne résout jamais rien.


LE PÈRE DE NAFI ; Écrit et Réalisé par Mamadou Dia ; Avec Alassane Sy, Saikou Lô, Aicha Talla, Penda Sy, Alassane Ndoye ; Sénégal ; 1h50 ; Distribué par JHR Films ; Sortie le 9 Juin 2021