Le Géant Égoïste

 » Arbor, 13 ans, et son meilleur ami Swifty habitent un quartier populaire de Bradford, au Nord de l’Angleterre. Renvoyés de l’école, ils rencontrent Kitten, un ferrailleur du coin. Ils commencent à travailler pour lui, collectant toutes sortes de métaux usagés. Kitten organise de temps à autre des courses de chevaux clandestines et Swifty éprouve une grande tendresse pour les chevaux, ce qui n’échappe pas au ferrailleur. Arbor, se dispute les faveurs de Kitten, au risque de se mettre en danger.  »

Le cinéma britannique est connu pour un genre bien particulier. On dit depuis longtemps que les cinéastes britanniques sont les meilleurs pour le drame social. Ils ont ce génie de s’approcher au plus près du réel. La vérité de leurs récits offrent une part de réalisme, qui s’accroche à l’universalité et à l’actualité de leur pays. Même si la plupart des drames sociaux britanniques restent sur une vision du Royaume-Uni, cela ne les empêche pas d’être aussi sincère que visionnaires. Le second long-métrage de Clio Barnard montre une cinéaste qui marche dans les pattes de Ken Loach.

L’approche loachienne est évidente dans ce film. Tout d’abord, le sujet est digne des thèmes de Ken Loach. Cette chronique amère et fataliste de la société, qui se place comme un coup de gueule et un miroir, tient sa puissance dans l’intensité de ses personnages. Ken Loach est à la fois tendre et cruel avec ses personnages, et Clio Barnard l’a bien compris. C’est cette diversité d’émotions apportée aux personnages, qui les rend plus intéressants.

Le bonus apporté au système loachien dans ce film, c’est le regard jeté sur des enfants. Même pas des adolescents, mais ce qu’on qualifierait des collégiens en France. A partir de là, Clio Barnard intégre une part d’innocence. Dans les récits loachiens, les personnages sont plus adultes. Donc, tout de suite, plus matures et plus conscients. Ici, les jeunes Arbor et Swifty amènent leur part de cynisme et de naïveté face au réalisme social. A partir de là, la dramaturgie sociale paraît plus nette et plus explicite.

Mais la réalisatrice ne tombe pas dans le piège de la facilité face à cette netteté. Derrière l’approche loachienne, une dynamique se révèle. Deux points ressortent vivement du film. Premièrement, c’est la fougue. Autant dans le rythme narratif que dans la personnalité des jeunes personnages, il y a cette course contre la misère. Ensuite, la dynamique se voit également dans les images. Chaque plan contient beaucoup d’éléments, allant de la vitesse d’éxécution au mélange tendresse / cruauté.

De plus, le film se révèle être une grande quête. Au-delà des objectifs respectifs des personnages, il y a une progression vers un fantasme. La course contre la misère se transforme petit à petit en quête d’espoir. Ce parcours du combattant, mené par de jeunes garçons, est mené par beaucoup d’optimisme. La fatalité est bien présente, mais Clio Barnard la détourne plusieurs fois, pour livrer comme un pardon et une tentative de rachat. A noter l’habituelle présence de l’intimité dans ces drames sociaux, pour accentuer les conséquences sur les relations entre les personnages.

A partir de là, la réalisatrice britannique fera preuve de lyrisme léger. Pas trop accentué, assez bien dissimulé, mais visible dans sa poésie sauvage. Car, à travers ses jeunes personnages, Clio Barnard ne filme pas la misère générale du pays. Mais elle capte la difficulté de la jeunesse à s’intégrer dans un pays en difficulté socialement. Le film jouera constamment sur le contraste de la trivialité de la déception. Comme dans les relations adultes / enfants : ces adultes irresponsables dont les jeunes sont obligés de se détacher pour se construire leur propre vie.

Ces adultes, ancrés dans ce monde capitalisme rempli de mensonge, manipulation et égoïsme, laissent la jeune s’échapper. Ces derniers entrent alors dans un univers onirique, où l’éducation ne mène plus à rien, et où le métal offre le reflet d’une vie rêvée. Clio Barnard est d’autant plus fascinante dans sa forme, quand elle choisie de ne pas créer de différence entre la fatalité et l’espoir. Elle préfère se distinguer au terre-à-terre, et à montrer l’espoir (et donc la dimension fantasmée) par le biais du réalisme pur.

4 / 5