Le dernier prisonnier, de Bujar Alimani

Voici un thriller politique qui nous vient tout droit d’Albanie, posant un regard sur le régime communiste en 1990. Pourtant, Bujar Alimani ne porte aucun jugement, et ne prend aucun parti entre les personnages. Même si cette forme d’objectivité dans le sujet peut être déroutante, toute l’intention est ailleurs. LE DERNIER PRISONNIER vogue sur plusieurs autres aspects cinématographiques, et tend surtout vers la création d’une ambiance particulière en se nourissant d’autres genres filmiques. Le thriller ne tient que par l’idée de contenir un mystère (pas pendant tout le film, non plus) au sein même du récit. Alors que Leo vit son quotidien derrière les barreaux comme prisonnier politique, il est soudainement amené à en sortir pour être conduit (par des personnes du régime communiste) quelque part d’autre. Cependant, le film ne dit pas où ni pourquoi avant un bon moment.

Mais évidemment, ce postulat ne suffit pas à créer une situation, à forger une ambiance. Pour cela, une touche de comédie noire apparaît en installant l’élément perturbateur (le film reste très scolaire dans sa construction narrative) : la voiture qui doit conduire le prisonnier Leo et ses gardes tombe en panne en pleine montagne. Situation cocasse, où Leo et ses gardes doivent donc passer encore davantage de temps ensemble, en sachant qu’ils sont totalement opposés. Et bien que le long-métrage soit excessivement bavard et explicatif, le cinéaste installe quelques moments d’absurdités et d’ironies, là où l’élément perturbateur ne profite concrètement à personne. Dans cette situation où sont coincés les personnages, ceux-ci s’y retrouvent très limités. Bujar Alimani les montre constamment en train de tourner en rond, de faire les cent pas, d’aller et venir sur cette route où aucune autre voiture ne circule. Pourtant, malgré l’ouverture évidente qu’engendre un paysage extérieur, les personnages sont tous limités dans leurs actions à cause de leurs convictions.

LE DERNIER PRISONNIER n’est pas loin non plus du western, tant Bujar Alimani crée de nombreuses situations de confrontations (aussi bien parlées que physiques). Des moments où la caméra les sépare dans des champ / contre-champ, où les regards se dirigent directement vers la caméra parfois, où alors avec des corps soumis à la pression d’un autre. Il y a une véritable envie d’être constamment sur la fragilité de duels. Si bien que l’espace a un impact concret sur le comportement des personnages : une route aussi sinueuse dans un espace montagnard dangereux, dont les aspects se reflètent chez les personnages lors de leurs confrontations. Il n’y a rien de paisible, si bien que le cinéaste choisit de n’utiliser aucune couleur vivre. Tout est très âpre, sec, chaotique. Une façon de montrer la situation décadente de la société albanaise à ce moment-là, de créer une ambiance assez anxiogène. C’est également une façon de réunir les personnages sous une même tonalité, et surtout de les coincer dans le même cadre (celui de la caméra, celui de la réflexion). Un cadre physique et un cadre mental, qui force les personnages à coopérer un minimum, et à éviter toute violence supplémentaire, étant déjà tous coincés dans une ambiance moribonde et un paysage sans perspective / issue favorable.


LE DERNIER PRISONNIER (The Delegation) ;
Dirigé par Bujar Alimani ;
Écrit par Artan Minarolli ;
Avec Viktor Zhusti, Xhevdet Ferri, Ndriçim Xhepa, Richard Sammel, Kasem Hoxha ;
Albanie / France / Grèce ;
1h18 ;
distribué par Next Film Distribution ;
22 Juillet 2020