Le Concours

Depuis un moment, nombreux sont ceux qui parlent de Claire Simon comme une nouvelle cousine de Frederick Wiseman. Ils n’ont pas tout à fait tort, même si GARE DU NORD avait une demi part de fiction, et que LES BUREAUX DE DIEU sont davantage des confessions où la cinéaste ne cache pas sa présence. Plus du tout présente physiquement, mais toujours présente oralement (sous la forme d’échanges) dans LE BOIS DONT LES REVES SONT FAITS, elle dévit progressivement vers un cinéma documentaire très proche de celui de Wiseman. Celui qui s’efface complètement pour laisser la parole émerger, pour laisser les personnes faire, Claire Simon reproduit l’approche dans LE CONCOURS. Elle pose sa caméra dans deux points de vue : les candidats et les jurys.

Bien davantage qu’une opposition des points de vue, l’approche de la cinéaste est d’explorer une confrontation entre deux générations. Il y a ceux qui sont accomplis et reconnus dans le milieu du cinéma (qu’ils soient artistes, distributeurs, exploitants, etc…) et il y a l’avenir du cinéma : ces candidats qui n’inspirent qu’à mettre en œuvre leurs idées, leur propre approche artistique. Ce travail de miroir, fabuleusement et modestement développé en champs / contre-champs, est bien plus vaste que le sujet même du cinéma. Il peut s’appliquer à tout concours dans une école d’art. Ainsi, grâce son effacement total, Claire Simon permet à l’art de ressortir complètement de son film, d’en faire une quête. Le parcours est alors constitué de toutes les étapes du concours, toutefois montées dans une transparence afin de ne pas tomber dans le piège didactique du chapitrage.

Claire Simon dilue très bien la notion de temps, ne cherchant jamais à entrer pleinement dans ce qui constitue le fond du concours. Au contraire, en montant ses séquences de manière pour en créer un carrefour de la pensée (puisqu’il s’agit de suivre plusieurs entretiens, plusieurs candidats différents), le documentaire se pose une seule question : qu’est-ce que la création ? A travers un « passage de flambeau » entre les deux générations, le documentaire tend à éplucher le concept de création pour en donner plusieurs définitions. Celles-ci ne sont pas données par Claire Simon, mais par les candidats, qui ont tous un rapport distinct et personnel à la création. Ainsi, LE CONCOURS permet d’élargir le champ des possibilités – aussi bien dans le fond que dans la forme, avec les multiples espaces filmés par la caméra.

L’atout dans l’élargissement des points de vue, est que Claire Simon met les sentiments à l’écart de tout le reste. Le principal est de mélanger le rêve, la réalité et l’angoisse. Le documentaire capte la maladresse stressée des candidats, qui passe toujours au-dessus des jurys qui représentent une sorte de mur et une suffisance scolaire. Le long-métrage permet alors quelque chose d’essentiel : sortir l’individuel de la masse. Bien plus qu’un film qui regarde la tenue d’un concours, il s’agit de grandes personnalités individuelles qui se confrontent à l’art et à la compétition. Tout le film explore la bataille intime lors d’un concours aussi complexe et important : au-delà de capter la personnalité, le film saisit la passion et la motivation, il saisit le caractère subjectif / privé / profond de l’art.

Cette intimité est cependant embarquée dans un paquebot système, composé premièrement par les dossiers et étapes qui se succèdent, puis par les jurys, mais aussi par ce cloisonnement qu’est l’école. Alors même si le documentaire laisse une grande place à l’humain et à l’individuel, il concerne surtout un public averti (passionnés par l’art, et notamment le cinéma). Malgré le paquebot système, le film fait ressortir une certaine absurdité du concours : notamment avec une superbe scène où les correcteurs expliquent leurs notes, sans jamais mentionner le nom des candidats ou leurs caractéristiques individuelles. Au-delà de la guerre des notes et des examens, parfaitement mise en contexte et pesant lourd dans l’ambiance générale, il y a l’élégance du verbe, la grâce de l’individuel.

Néanmoins, peu importe le langage et le verbe utilisé (par qui que soit, aussi bien les candidats, les jurys ou le directeur), Claire Simon fait du Wiseman dans le sens où elle rend la parole dans son intégralité. A l’image du cinéaste américain, elle filme un espace précis (ici clos) pour en dégager un portrait, comme si la FEMIS dans ce documentaire devenait une micro société : celle de la sphère artistique. Cependant, le film explore une chose essentielle pour répondre à la question « qu’est-ce que la création ? » tout en essayant d’intégrer cette école (qui pourrait être n’importe laquelle) : chaque couloir, chaque salle, chaque mini studio sont des fantasmes pour les candidats. Mais soudain, avec l’appui de cette individualité et de la « compétition » entre candidats, il devient plus complexe et sinueux.

Même si la caméra n’arrive à filmer l’école comme le bois dans LE BOIS DONT LES REVES SONT FAITS (qui par son esthétique naturelle laissait une plus large place à l’imaginaire). Mais contrairement à un bois qui, malgré plusieurs situations et plusieurs personnes différentes, se ressemble à chaque passage, ici la création est composée de règles qui se ré-inventent sans cesse (grâce à l’individualité des candidats). La preuve est que, plusieurs fois (que ce soit à l’assemblage des notes entre tous les jurys, ou lors des entretiens avec les candidats), le procédé fait déborder du cadre la question de la création. On se dispute sur des idées esthétiques pour former un semblant de casting : alors ce concours ne serait-il que le fer de lance d’une école synonyme de fiction ?

LE CONCOURS documentaire de Claire Simon
France / 2h00 / 8 Février 2017

4 / 5